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Ma mère était retournée aux soins palliatifs en début de semaine. Elle n'était plus gavée et ne consommait plus d'aliments, il ne lui restait plus que le sérum pour la maintenir en vie et cela ne durerait que quelques jours, «probablement moins d'une semaine» m'avait dit le médecin.
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Ma mère était retournée aux soins palliatifs en début de semaine. Elle nous avait fait part de ses dernières volontés quelques jours auparavant et avait demandé à ce que son mari Serge, sa meilleure amie Manon et moi soyons présents lorsqu'elle vivrait ses dernières heures. J'avais encore une fois pris congé du travail et j'avais recommencé à dormir dans sa chambre. La médication avait été augmentée, rendant Maman plus confuse que d'ordinaire, mais ses douleurs, bien que pas totalement soulagées, étaient un peu plus tolérables. Afin d'éviter qu'elle se lève pour aller à la salle de bain, le personnel lui avait fait installer une sonde.

Elle n'était plus gavée et ne consommait plus d'aliments, il ne lui restait plus que le sérum pour la maintenir en vie et cela ne durerait que quelques jours, «probablement moins d'une semaine» m'avait dit le médecin.

La veille de son décès, Serge et moi étions sortis prendre un café au salon des visiteurs, le temps que la préposée aux bénéficiaires fasse sa toilette et lave ses cheveux. Lorsque nous étions revenus à la chambre, Maman portait un beau pyjama propre et la préposée était en train de peigner ses cheveux. Mon cœur avait fait trois tours: «T'es belle, Maman!», m'étais-je exclamée en la voyant. Son mari l'avait également complimentée. Elle nous avait répondu par le plus beau des sourires et des yeux brillants.

Plus tard en soirée, un peu plus jasante, elle nous avait sorti quelques perles telles que: «Je prendrais ça avec du sel pis du poivre!» ou «As-tu des sous dans ton porte-monnaie? J'aimerais aller danser!». Maman était pleine d'autodérision et riait elle-même de sa propre confusion due à la médication. Cela nous avait grandement aidés à dédramatiser la situation. Plutôt que de nous attrister de son état, nous avions accueilli sa bonne humeur et nous avions ri avec elle.

Nous avions devant nous une guerrière qui avait accepté son destin et allait accueillir la mort comme une libération. Elle était sereine. Elle rayonnait.

***

À trois heures du matin, j'avais été réveillée par une quinte de toux, puis j'avais entendu Maman murmurer quelques mots, avec conviction:

«Bon ben là... C'est assez!»

Soudainement, sa respiration avait changé. C'était le souffle des mourants.

Je m'étais levée d'un trait. J'avais ouvert la lumière et lui avait pris la main... «Maman...??? Maman!» Pas de réponse, juste sa respiration irrégulière. Elle était dans le coma.

J'avais téléphoné à Serge qui était venu à l'hôpital immédiatement. Manon était venue nous rejoindre peu de temps après et nous avions téléphoné à la famille pour permettre à qui le souhaitait de parler à Maman pour une dernière fois... même si ça devait se faire au bout du fil.

Ma cousine Marie-Christine, qui était très proche de sa tante, s'était précipitée à son chevet dès qu'elle avait appris la nouvelle. Elle avait eu un choc en voyant Maman. Il faut dire qu'avec ses traits complètement relâchés et son corps à demi-recroquevillé et un brin rigide, elle était méconnaissable. Les sécrétions dans sa gorge, que le personnel devait occasionnellement aspirer à l'aide d'une petite machine, rendaient sa respiration encore plus intimidante et pénible à entendre...

À l'époque, l'aide à mourir n'était pas légalisée et les médecins avaient un protocole très strict à respecter. J'avais tout de même demandé au docteur ce qu'il était possible de faire pour éviter de prolonger inutilement ses souffrances et pour la rendre aussi confortable que possible. À notre demande, les infirmières étaient passées et avaient retiré toutes les aiguilles de son petit corps fragile, sauf une, pour les injections de morphine-- ainsi que son soluté. Quant à moi, toujours avec l'accord du médecin, j'avais retiré le tube d'oxygène qui était accroché à son visage.

Sa musique préférée jouait à répétition. On la cajolait. On lui disait qu'elle était belle, forte et courageuse... et surtout combien on l'aimait.

Certains disent qu'un malade dans le coma n'a plus conscience de rien. D'autres disent qu'il ne souffre pas, mais peut quand même nous entendre. Moi, tout ce que je sais, c'est qu'en posant la main sur son cœur, je m'étais rendu compte que ce dernier s'emballait à chaque fois qu'elle entendait la voix d'une personne qu'elle aimait, ce qui me donnait l'impression qu'elle pouvait bel et bien nous entendre. Ça m'avait fait du bien.

Maman avait toujours aimé ma voix et se désolait du fait que je suis trop timide pour chanter devant les autres... Ce matin-là, alors que chacun d'entre nous avait eu droit à un dernier moment seul à seul avec elle, j'avais décidé de lui offrir son dernier concert privé. La voix étranglée par l'émotion, je lui avais chanté une courte berceuse de Marie-Élaine Thibert --chanteuse que ma mère adorait-- qui exprimait en des mots simples, ce que je ressentais: «Le sais-tu combien de temps que je t'aimerai? Ça s'compte même pas sur les doigts de l'infini...»

***

Pour ma cousine, l'idée d'être présente au moment où sa tante allait mourir était insoutenable. Elle avait préféré sortir de la chambre au moment opportun.

Je tenais la main de Maman dans la mienne et j'avais déposé mon autre main sur son cœur, dont les battements irréguliers s'espaçaient de plus en plus. De l'autre côté du lit, son mari caressait ses cheveux. Manon était également à ses côtés. Il était temps de lui dire adieu.

«C'est l'heure... Tu peux partir.»

Alors qu'elle poussait son dernier souffle, j'avais senti son cœur cesser de battre.

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