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Le brouhaha, l'impuissance et le pardon

Maman n'était pas prête à mourir et je n'étais pas prête à la laisser partir. Malgré cela, j'avais compris que je n'avais aucun contrôle sur les événements et que son départ pouvait se produire à n'importe quel moment... Et j'avais la chienne.
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Les jours suivant l'admission de maman aux soins palliatifs furent tout sauf calmes car de nombreux visiteurs (famille et amis) s'étaient déplacés pour lui rendre visite. Elle semblait bien heureuse de toute l'attention qu'elle recevait, mais, pour ma part, je me sentais bousculée par les événements, par les multiples démarches à faire à vitesse grand V et par ces gens bien intentionnés qui essayaient parfois de percer la carapace que je m'étais construite pour éviter de m'effondrer. Je me tenais donc à l'écart autant que possible. Je ne voulais voir personne, je ne voulais parler à personne et je ne voulais surtout pas pleurer devant ma mère, qui avait déjà bien assez de sa propre souffrance à porter.

Les médecins essayaient d'ajuster sa médication, ce qui lui causait une tonne d'effets secondaires. Elle passait donc de courts instants d'éveil où elle était souvent confuse, angoissée et émotive, à de longues heures de sommeil où il était pratiquement impossible de la réveiller. Je me rappelle m'être pointée à l'hôpital un après-midi et l'avoir retrouvée endormie dans son lit, en pyjama avec une peluche dans les bras... On aurait dit une enfant. Sa vulnérabilité m'avait heurtée de plein fouet. Moi qui avais toujours cru ne pas avoir la fibre maternelle, je me suis soudainement sentie possédée par un instinct de protection étouffant. Ajoutez à cela une belle grosse dose d'impuissance et vous obtenez un mélange instable, potentiellement explosif et difficile à supporter.

Elle n'était pas prête à mourir et je n'étais pas prête à la laisser partir. Malgré cela, j'avais compris que je n'avais aucun contrôle sur les événements et que son départ pouvait se produire à n'importe quel moment... Et j'avais la chienne.

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Depuis quelques années, j'étalais, avec toute la délicatesse d'un dix-roues, mes émotions sur un blogue beaucoup moins anonyme que je ne le croyais. C'est donc par une page de mon journal pas-du-tout-intime où j'annonçais l'admission aux soins palliatifs de son épouse que Serge avait appris la nouvelle. Il faut comprendre que leur séparation ne s'était pas faîte en douceur et qu'il ne l'avait pas vu depuis des mois alors il ne savait pas du tout à quoi s'attendre. «Est-ce que tu penses que je peux aller la voir?», m'avait-il demandé, hésitant. Je lui avais répondu qu'il n'avait rien à perdre à essayer. Il s'était alors précipité à son chevet.

Si ma mère était méfiante au début, elle avait rapidement cru en sa bonne foi et avait graduellement laissé tomber ses gardes. L'amour, le vrai, est capable de pardonner. Elle me disait, quelques jours plus tard : « On a parlé, on s'est excusés et on s'est pardonnés. Je l'aime encore... Et même s'il s'est engagé ailleurs depuis notre séparation, je sais que lui aussi m'aime encore ».

Elle n'avait pas eu besoin de me convaincre : c'était évident. C'était sa vie à elle et son choix, après tout. Qui étais-je pour m'interposer? Je n'avais pas d'autre choix que de pardonner moi aussi.

Ce que je ne savais pas encore à ce moment-là, c'est qu'il allait devenir un de mes alliés les plus précieux. Au bout d'une semaine ou deux, les visiteurs, provenant pour la plupart de régions éloignées, étaient repartis. J'étais retournée squatter la chambre de maman où je passais la majeure partie de mon temps à l'exception de quatre matins par semaine où Serge venait à l'hôpital pour passer une partie de l'avant-midi avec elle. Je profitais de ces quelques heures de répit pour retourner chez moi, pleurer ce que j'avais à pleurer, «dormir pour vrai» et prendre une bonne douche chaude...

C'est en grande partie grâce à lui si j'ai réussi à tenir le coup physiquement et mentalement à cette épreuve, parce que chaque fois que je retournais sur l'étage des soins palliatifs, j'entrais dans un autre monde...

Et ce monde-là, j'avais besoin de toutes mes forces pour l'affronter.

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