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«Trahison» : No drama, please, we're British

Il n'y a pas de révélation sensationnelle, de drame affreux, mais Trahison frappe d'autant plus fort.
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David Ospina

J'aime bien ces histoires qui sont des drames, mais qui n'en ont pas l'air. Et rien de mieux que la légendaire stiff upper lip britannique pour cristalliser ce concept du stoïcisme avant tout. Pas de cris, ni de hurlements, pas d'insultes non plus. Mais il n'est pas dit que la douleur et la peine soient moins intenses.

C'est ce qui se joue sur la scène du Rideau Vert avec Trahison d'Harold Pinter, l'histoire somme toute banale d'un mari trompé par sa femme avec son meilleur ami. En une heure quinze, on remonte le temps pour assister à la genèse et à l'évolution de cette relation clandestine qui va durer sept ans. Une relation que je qualifierais de paisible, sans éclat ni moments de folle passion. Rien ne verse dans la tragédie, personne ne se suicide, il n'y a pas non plus de reproches sauvages qui sont échangés. Les protagonistes évoluent dans le domaine de l'édition, avec ses codes et ses jugements, ils sont littéraires et brillants et seraient à leur place dans le Bloomsbury de Leonard et Virginia Woolf. Mais même les gens éduqués qui croient manier un riche vocabulaire se retrouvent démunis lorsqu'il s'agit d'exprimer ce qu'ils ressentent. Il faudrait d'autres mots et d'autres concepts. Pinter joue avec cela et tout est dans le non-dit et dans la subtilité du jeu des comédiens.

Le décor de Pierre-Étienne Locas est tout de sobriété, comme le texte d'ailleurs. Une plate-forme de bois sur la scène, des murs nus qui vont se transformer en différents lieux grâce aux éclairages judicieux d'André Rioux, des costumes de Mérédith Caron qui font années 60 et 70, mais pas trop, évitant ainsi d'inscrire trop fortement ce qui se passe dans une époque alors que de tout temps les femmes ont trompé leur mari et vice-versa. Tout contribue à mettre l'accent sur ce que disent les comédiens. Et à la mise en scène, Frédéric Blanchette dirige en finesse et en nuance ce trio d'acteurs qui doivent être follement heureux de jouer dans une telle pièce. Julie Le Breton, Steve Laplante et François Létourneau sont excellents. C'est dans un petit geste involontaire, dans une expression de visage, dans une phrase apparemment innocente que le sous-texte surgit. Ils sont à la fois simples et un petit peu inquiétants, concrets, mais incertains. Et peut-être parce qu'ils sont anglais, la passion ne se déchaîne jamais.

Je qualifie le théâtre de Pinter d'écriture avec des sous-titres. Ou en trompe-l'oeil.

Je qualifie le théâtre de Pinter d'écriture avec des sous-titres. Ou en trompe-l'oeil. C'est ce qui n'est pas écrit ni dit et qui transparaît qui est le plus important, dans un mélange d'absurde et de réalisme. L'humour découle de remarques sardoniques et d'une vertigineuse ironie, sans que jamais n'apparaisse un questionnement sur la nature de l'amour et sur les écueils rencontrés par les couples. Dans un espace clos et que les personnages croient rassurants, leur incapacité à communiquer saute aux yeux alors qu'ils tentent de le faire avec des outils inadéquats. Leurs dialogues ne sont qu'une autre version d'un silence qui dérobe tout ce qui devrait être dit et qui ne l'est pas. Ces gens vivent sans rêve, mais aussi sans colère, dans une absence de cruauté, mais aussi avec une tolérance qui, loin d'être admirable, donne l'ampleur du désastre de leur résignation. Il n'y a pas de révélation sensationnelle, de drame affreux, mais Trahison frappe d'autant plus fort. Et c'est probablement parce que la pièce frappe juste.

Trahison : au Théâtre du Rideau Vert jusqu'au 8 juin 2018.

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