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Le théâtre de la cruauté

J'ai toujours refusé de discuter politique avec mon beau-frère de Hamilton en Ontario. Il est très, très fédéraliste et plutôt de droite, je suis son antithèse et bien que j'ai de l'affection et du respect pour lui j'ai toujours su que se perdre dans une argumentation enflammée en faveur de la souveraineté du Québec ne ferait rien pour améliorer nos liens et que je perdrais probablement des plumes lors de cette hypothétique discussion. Parce que voilà, ma conviction vient de mon cœur, de mes tripes et que la logique est forcément évacuée lorsque vos arguments relèvent du sentiment.
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Courtoisie

J'ai toujours refusé de discuter politique avec mon beau-frère de Hamilton en Ontario. Il est très, très fédéraliste et plutôt de droite, je suis son antithèse et bien que j'ai de l'affection et du respect pour lui j'ai toujours su que se perdre dans une argumentation enflammée en faveur de la souveraineté du Québec ne ferait rien pour améliorer nos liens et que je perdrais probablement des plumes lors de cette hypothétique discussion. Parce que voilà, ma conviction vient de mon cœur, de mes tripes et que la logique est forcément évacuée lorsque vos arguments relèvent du sentiment.

Revoir Tout ça m'assassine , un moment de théâtre tout simplement magistral, m'a permis de mettre le doigt sur ce malaise diffus que je ressens toujours lorsqu'il faudrait que je défende un point de vue avec lequel je suis pratiquement née. Ce soir-là, à la cinquième salle de la Place des Arts, j'ai été frappée par le pessimisme qui traverse le spectacle, par le désespoir profond qui ressort des propos des auteurs, par cette omniprésence de la mort, de la disparition, par cet épouvantable constat d'impuissance devant la mainmise du néo-libéralisme. Comme le dit le personnage d'Alexis Martin, « je viens d'un pays où engagé veut dire que t'as une job ». Et Sylvain Marcel, à travers les mots de Patrice Desbiens, avoue qu'il est parfois un bon poète mais que la plupart du temps il est dans un bar, qu'il n'a plus que 16 cents dans son compte de banque et tout ce qui lui reste c'est de séduire des cendriers et, accessoirement, de manier la parole comme un dieu déchu et dissolu. Quant aux deux bozos (Normand D'Amour et Mario Saint-Amand) qui marchent sur l'autoroute 20 en pleine nuit en 1987 pour se rendre aux funérailles de René Lévesque, ils parlent tout simplement de l'anéantissement d'un rêve, de l'échec des idéaux de toute une nation, le tout concrétisé dans la métaphore de l'orignal blessé à mort et que personne n'ose achever.

J'ai compris pourquoi je ne peux pas défendre mes positions avec des arguments concrets alors que je sais pertinemment qu'il en existe. Il y a trop de passions liées à tout cela, trop de sanglots et de larmes versées un 20 mai il y a longtemps. Les émotions ne peuvent cacher le fait qu'après tout, nous ne sommes pas un peuple opprimé, qu'il y a bien pire que nous. Que nous jouissons d'un niveau de vie élevé, des libertés fondamentales, de la démocratie, de l'accès à l'éducation et à la santé qui, quoi qu'on en dise, font l'envie de bien des peuples.

Mais il y a cette fêlure à l'intérieur de nous, cette cicatrice béante résultant du fait que nous avons refusé à deux reprises d'être « quelque chose comme un grand peuple ». Et je crois que c'est ce que transmet Tout cela m'assassine : cette terrible douleur, ce ressentiment face à nous-mêmes, cette humiliation, cet échec, ce vertige que l'on éprouve au seuil d'un univers qui pourrait être différent mais dont on refuse d'ouvrir la porte.

Et moi c'est tout ça qui me tue.

Tout ça m'assassine

À la cinquième salle de la Place des Arts avec des supplémentaires jusqu'au 20 octobre 2012

Crédit photo : Théâtre Il va sans dire

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