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«Si les oiseaux»: passionné et passionnant

Servie par une mise en scène et une scénographie d'une rare qualité, des éclairages saisissants et atmosphériques, de même que par une distribution impeccable, je vous suggère fortement de vous précipiter au théâtre Prospero pour aller voir.
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Si les oiseaux d'Erin Shields propose un moment de théâtre hors du commun, la relecture du mythe grec relatant l'histoire de Philomèle et Procné, filles de Pandion, roi d'Athènes. Après avoir obtenu l'aide de Térée, roi de Thrace, afin de combattre un ennemi, Pandion lui offre en mariage sa fille aînée. Procné sera ainsi séparée de sa sœur chérie, son double, sa meilleure amie et elle n'aura de cesse, après avoir mis au monde un fils, Itys, que de convaincre son mari d'aller chercher Philomèle afin qu'elle puisse passer du temps avec elle. Térée en profitera pour violer la jeune fille et l'isoler dans une maison après lui avoir coupé la langue. Il dira à sa femme que Philomèle s'est noyée dans la mer. Procné apprendra la vérité et, pour se venger, tuera son fils et le donnera à manger à son mari. Les dieux transformeront en oiseaux cette famille pour qui la vie s'est révélée une immense tragédie.

Comme on le voit, ce n'est pas une petite histoire banale de tromperie. Et Erin Shileds, grâce à une galerie de personnages formidables (merci à l'impeccable traduction de Maryse Warda qui sait amalgamer une langue tour à tour majestueuse et familière) et grâce aussi à un considérable talent, nous raconte tout cela de façon passionnée et absolument passionnante. S'intègre à tout cela des discours émanant de femmes qui ont subi des viols lors de divers conflits armés, de Nankin au Rwanda, en passant par le Berlin de 1945, des voix disant l'indicible et confirmant le fait que les femmes font partie du territoire conquis, du butin de guerre. Cette histoire d'une extrême violence est habitée également par des moments lumineux et tendres, par des échanges affectueux entre les deux sœurs, entre la mère et son fils, entre le père et son petit. L'humour n'est pas exclu non plus. Ce qui donne à cette pièce un quotient d'humanité vraiment très, très élevé.

Les comédiens relèvent le défi brillamment. Jean Maheux est noble et souverain en roi d'Athènes et Pascal Contamine m'a jetée par terre avec son interprétation de Térée, le type même du mari aimant et du père dévoué qui ne réfléchit pas deux minutes avant de trucider un ennemi et de violer ses femmes, complètement subjugué par cette culture de la violence, la seule qui le satisfasse, la seule qu'il connaisse. Marie-Ève Milot et Catherine de Léan incarnent, mutines et complices, deux sœurs qui s'adorent et qui vont vivre les pires drames. Leur vitalité de même que leur désespoir et leur colère sont vrais et cela m'a particulièrement touchée. Et ce qui est merveilleux c'est qu'on sent chez les deux comédiennes un lien émotif et une entente secrète, une véritable chimie en somme qui saisit le spectateur et le rend encore plus réceptif à cette histoire. Cinq autres comédiennes sont le chœur, les esclaves, les femmes violées, les nounous, remplissant toutes leurs rôles avec conviction et sensibilité.

La mise en scène de Geneviève L. Blais (dont j'ai vu le très bon Himmelweg) allie dimension mythologique et univers contemporain et donne une qualité que je n'avais jamais vue auparavant à l'espace de la grande salle du Prospero. Et la direction des comédiens est tout simplement remarquable. L'exceptionnelle scénographie de Jean Brillant et Eric O. Lacroix ajoute une dimension insoupçonnée au texte, que ce soit avec les murs de métal, le bain aux usages multiples, ou l'utilisation des voiles lors de la scène du viol. Les costumes de Fruzsina Lanyi sont formidables et terriblement évocateurs : des tissus denses ou légers, des matières texturées ou éthérées, pouvant suggérer tour à tour la misère, le luxe ou les oiseaux, donnant ainsi un autre miroir à ce beau texte.

Servie par une mise en scène et une scénographie d'une rare qualité, des éclairages saisissants et atmosphériques de même que par un casting impeccable, je vous suggère fortement de vous précipiter au Prospero pour aller voir Si les oiseaux. Si le sujet est lourd, il est abordé sans lourdeur. Et surtout, il en ressort un profond amour pour les hommes. Eh oui, malgré tout. Mais il ne faut pas non plus s'étonner qu'après avoir été traitées avec tant de violence, de mauvaise foi, de sentiments belliqueux et de mépris, les femmes, après avoir considéré la cruauté du monde, n'ont plus que le désir de se transformer en oiseaux.

Si les oiseaux : une production du Théâtre à Corps perdus, au théâtre Prospero jusqu'au 31 octobre 2015.

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