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Un texte fort, des comédiens investis et cette petite salle du Prospero où l'histoire prend son envol et ne nous lâche plus pendant une heure et demie.
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Hugo B. Lefort

Et voilà une pièce comme je les aime: un texte fort, des comédiens investis et cette petite salle du Prospero où l'histoire que nous raconte le dramaturge américain Lucas Hnath avec Rouge Speedo prend son envol et ne nous lâche plus pendant une heure et demie.

Ray est un nageur moyen évoluant dans un Club de natation un petit peu minable sous la gouverne de Coach. Le frère de Ray, Peter, est avocat et, devant le succès soudain et quelque peu inexpliqué de Ray lors des compétitions, concocte un plan pour lui trouver un commanditaire payant (le Speedo du titre) et pouvoir ainsi abandonner la firme où il travaille pour devenir agent. Et faire beaucoup de sous. Ce qu'on apprend, c'est que Ray a recours à des stéroïdes pour améliorer ses performances car il veut désespérément gagner: sans éducation, sans formation d'aucune sorte, Ray n'a pas d'autre avenir que la natation et se rendre aux Olympiques lui assurera une sécurité financière à laquelle autrement il n'aura jamais accès. Si j'ai de l'argent, dira Ray, je vais pouvoir être une vraie personne.

Marc-André Thibault est Ray. Il faut être un comédien très intelligent pour incarner, comme il l'a fait souvent, entre autres dans les pièces de Martin McDonagh L'ouest solitaire et Les ossements du Connemara, des garçons un peu débiles, démunis devant la vie et qui trouvent un exutoire à leurs frustrations dans la violence. Non sans parfois faire preuve d'une effrayante lucidité face à ce qui les entoure. Son Ray, au regard vide et avide à la fois, fait des pompes et mange des bébés carotte. Il ne comprend pas grand-chose mais son instinct de survie est démesuré. Vêtu que d'un Speedo rouge tout au long de la pièce (mais oui) il est l'as de l'argument spécieux pour justifier ses décisions stupides, ratoureux en même temps que naïf, manipulateur et simplet. François-Simon Poirier joue le rôle de Peter, le frère, tout aussi manipulateur mais avec un discours plus intelligent. Dans ce rôle où le personnage nous étourdit de paroles, François-Simon Poirier nous étourdit aussi par son talent et sa maîtrise, occupant l'espace et nous donnant la mesure de l'ambition de Peter et de sa morale plus qu'élastique.

C'est Catherine Paquin-Béchard qui est Lydia, l'ex de Ray, thérapeute sportive mêlée à des affaires louches qui s'est recyclée dans les séminaires de motivation donnés les week-ends à des employés d'entreprises. Elle est consciente de la pure bullshit à laquelle elle participe uniquement pour l'argent mais elle aussi a un agenda caché. Ce personnage mise sur son charme et sa beauté pour assouvir une vengeance et Catherine Paquin-Béchard le rend formidablement. Guillaume Regaudie est Coach, celui qui a tout enseigné à Ray et qui, devant l'ascension de celui-ci, se voit déjà couvert de gloire, d'honneurs et d'or, et pas seulement en médailles. Un autre personnage complexe fort bien joué qui nous fait comprendre que son cœur n'est pas aussi pur que nous aimerions le croire.

Rouge Speedo, c'est beaucoup de choses. Et là réside la force de ce texte où on trouve aussi un humour parfois grinçant, de ne jamais se perdre et de garder l'objectif alors que les différentes strates des thèmes traités se font jour devant nos yeux. On parle de sport, de compétition, de dopage, de l'égalité des chances, de la morale et de l'éthique, de l'amour, de la fraternité et du pouvoir. Et surtout d'argent. Quel prix sommes-nous prêts à payer pour arriver à nos fins, pour connaître la gloire, pour accéder à des sommes substantielles? Cette pièce nous fait voir avec brio le mélange inextricable d'animal et de divin qui constitue l'être humain en même temps qu'elle se penche sur l'inconscient des sociétés occidentales où, pour exister, il faut gagner.

Rouge Speedo: une production LeMimesis, à la salle intime du Théâtre Prospero jusqu'au 9 mars 2019.

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