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Qui a peur de Virginia Woolf?: anatomie d'un couple

L'analyse du couple que nous propose Edward Albee est féroce mais vraie: un homme et une femme s'aiment et ne se comprendront jamais. Car la lucidité est un antidote puissant et très efficace contre le bonheur.
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Après le remarquable Un tramway nommé désir, Serge Denoncourt s'est attaqué à un autre classique du théâtre américain : Qui a peur de Virginia Woolf? d'Edward Albee, présenté au Théâtre Jean-Duceppe. Dans une mise en scène beaucoup plus sage, il nous met en présence de ce couple chaotique, George et Martha, pour qui tout est prétexte au déchirement, pour qui toute vérité ou mensonge sont bons à dire. Anatomie d'un couple désenchanté, Qui a peur de Virginia Woolf? demeure l'illustration parfaite de la phrase de Paul Valéry qui écrivait que la caresse et le meurtre se côtoient dans leurs mains.

Le décor de la pièce est magnifique : un salon de bourgeois intellectuels un peu décadents, un environnement confortable où les livres et les magazines sont empilés partout, avec des meubles couverts de verres vides et de cendriers pleins, car, il faut bien le dire, l'idée que Martha se fait du ménage est assez approximative. Nous sommes dans l'appartement de ce couple, lui professeur d'histoire dans cette petite, mais prestigieuse université, elle fille du recteur qui boit plus qu'elle ne le devrait. Au retour d'une soirée, ils ont invité un jeune professeur de biologie et sa femme à venir prendre un dernier verre. Jouissant d'un public captif, George et Martha vont se déchaîner. Lui jouant au chat et à la souris avec le couple invité, elle provoquant tant qu'elle le peut, le tout dans un ballet cruel sous-tendu par une constante ironie et une profonde souffrance.

Je pense que Normand D'Amour n'a jamais été aussi bon que dans ce rôle de George où il apporte toutes les nuances nécessaires. Il module ses répliques avec une justesse inouïe, nous laissant comprendre le destin de cet homme qui n'a pas été à la hauteur des attentes de sa femme non plus que de ses propres ambitions. Maude Guérin qui joue Martha, en fait un personnage reptilien, toujours à l'affut de l'anecdote humiliante qui va rabaisser et saper son mari devant leurs invités. Il m'a semblé cependant que la comédienne n'était pas complètement à l'aise dans ce rôle, qu'il lui manquait, sauf à la fin, cette sensibilité à fleur de peau qui nous permettrait de comprendre le drame de cette femme intelligente qui n'a jamais pu exploiter son potentiel intellectuel. Nick et Honey (François-Xavier Dufour et Kim Despatis), le jeune couple qui joue les faire-valoir dans ce règlement de compte, sont tout à fait adéquats en miroirs révélateurs puisque chez eux aussi règnent la même hypocrisie et les mêmes mésententes. Qui seront bien sûr exacerbées avec les années.

Je ne m'attendais pas à rire ou à sourire autant, quoique de façon grinçante. Il y a des moments qui évoquent le théâtre de boulevard dans cette pièce, surtout dus aux extravagances de Martha. Et je dois souligner que pour les quantités d'alcool ingurgitées lors de cette nuit de beuverie, les personnages demeurent d'une remarquable cohérence dans leurs discours. Sauf Honey, qui ne sait pas boire et ne supporte pas. Le deuxième acte constitue d'ailleurs un crescendo dans le nombre de verres accompagné d'une incroyable violence verbale et de révélations toutes plus douloureuses les unes que les autres. Jusqu'à la scène finale où tout ce qui unit et sépare George et Martha devient limpide.

Paul Valéry, que je citais plus haut, a aussi écrit : Dieu créa l'homme, et ne le trouvant pas assez seul, il lui donne une compagne pour lui faire mieux sentir sa solitude. L'inverse est tout aussi vrai pour la femme. L'analyse du couple que nous propose Albee est féroce et vraie : un homme et une femme s'aiment et ne se comprendront jamais. Car la lucidité est un antidote puissant et très efficace contre le bonheur.

Qui a peur de Virginia Woolf ?: au Théâtre Jean-Duceppe jusqu'au 28 mars 2015.

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