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«Platonov, amour haine et angles morts»: enfin, le vrai fusil de Tchekhov!

La pièce, adaptée par Angela Konrad, est un spectacle fourmillant, chaotique et insaisissable; on peut aimer ou détester, mais on ne peut rester indifférent.
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Je me suis laissée gagner petit à petit par cet univers baroque et violent, ce mélange de toutes les émotions contenues sur Terre, par ces gens artisans et victimes de la décomposition de leur monde, images mêmes de l'abandon de tous les repères.
Maxime Robert-Lachaîne
Je me suis laissée gagner petit à petit par cet univers baroque et violent, ce mélange de toutes les émotions contenues sur Terre, par ces gens artisans et victimes de la décomposition de leur monde, images mêmes de l'abandon de tous les repères.

Gorki disait de Tchekhov, ce chantre de la désespérance, que personne avant lui ne sut montrer aux hommes avec autant d'impitoyable vérité le fastidieux tableau de leur vie, telle qu'elle se déroule dans le morne chaos de la médiocrité bourgeoise.

Je dois avouer mes difficultés avec Tchekhov. Je trouve ses pièces ennuyeuses, je ne me suis jamais investie dans ces personnages qui jaspinent et se plaignent perpétuellement sans jamais se réaliser dans l'action. Le proto-existentialisme de Tchekhov m'a toujours semblé stérile et vide. Et j'allais à reculons voir ce Platonov présenté au Prospero et mis en scène par Angela Konrad en me disant que, peut-être, Madame Konrad pourrait me faire aimer ce dramaturge que j'ai toujours trouvé rébarbatif.

Et c'est ce qui est arrivé.

Platonov est, si l'on veut, un fond de tiroir. Une première pièce inachevée, qui a vu le jour longtemps après la mort de Tchekhov, traduite par Françoise Morvan et André Markowicz. Angela Konrad l'a adaptée et nous sert le résultat sur un plateau vide avec une arrière-scène nue, percée de fenêtres, et où seront projetés ponctuellement des gros plans des visages des comédiens.

De la musique, passant du heavy métal au rave avec un détour par une chanson douce de Perry Blake, ponctue les entrées et les sorties des personnages. La violence physique reflète la violence verbale du texte et le tout se fond dans une mise en scène dynamique et pleine d'ironie qui donne une autre dimension, beaucoup plus accessible, à un Tchekhov qui a souvent tendance à se répéter et à se prendre une peu trop au sérieux.

Renaud Lacelle-Bourdon est un Platonov aux allures de dieu dissolu, une fripouille désespérée qui couche avec tout ce qui bouge, qui boit jusqu'à plus soif, qui cherche le paradis alors qu'il porte l'enfer en lui. Le comédien donne une extraordinaire composition de ce personnage ambigu, difficile à aimer et pourtant attachant. Debbie Lynch-White incarne sa femme Sasha, son souffre-douleur, celle qui croit en l'amour et qui n'y trouve que peine et déception. Debbie Lynch-White est criante de vulnérabilité et très touchante dans ce rôle de femme humiliée, la seule qui ne dissimule pas ses sentiments sous un vernis factice.

Violette Chauveau, toujours magnifique, est la Générale et maîtresse (enfin, l'une d'entre elles) de Platonov. Une Marie-Laurence Moreau livrée à une passion démesurée joue Sophia, prête à tout abandonner pour suivre Platonov alors que son mari Sergueï (Olivier Turcotte, diablement efficace), un incapable toujours à court d'argent, s'évertue à monter Hamlet de Shakespeare.

Les personnages sont tous insupportables à des degrés divers et pourtant, grâce à la façon dont ils sont présentés, ils réussissent à nous toucher.

Il va sans dire que, Angela Konrad oblige, Sergueï nous récite un extrait de la pièce. Samuel Côté, intense et quasi démoniaque, incarne Nicolas et Pascale Drevillon et Diane Ouimet complètent la distribution.

On trouve des clins d'œil amusants dans l'adaptation d'Angela Konrad. La Générale traite Platonov d'idiot, allusion au fait que Renaud Lacelle-Bourdon a joué ce rôle l'an dernier au TNM. Et on a un fusil, qui remplit bien évidemment son rôle de fusil et qui donne tout son sens à l'expression bien connue.

Tout ce beau monde est cruel et se méprise mutuellement. Les personnages sont tous insupportables à des degrés divers et pourtant, grâce à la façon dont ils sont présentés, ils réussissent à nous toucher. Vous dire: c'est bien la première fois que je sors d'une pièce de Tchekhov sans être de mauvaise humeur et en me disant que j'ai perdu mon temps.

Je me suis laissée gagner petit à petit par cet univers baroque et violent, ce mélange de toutes les émotions contenues sur Terre, par ces gens artisans et victimes de la décomposition de leur monde, images mêmes de l'abandon de tous les repères. Platonov est un spectacle fourmillant, chaotique et insaisissable, on peut aimer ou détester, mais on ne peut rester indifférent.

Platonov: au Théâtre Prospero jusqu'au 15 décembre 2018.

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