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«Photosensibles»: tout est dans la perception

À partir de cinq photographies très connues qui ont fait le tour du monde, cinq auteurs ont écrit des textes qui s'attardent à la genèse et à la fabrication de ces moments fixés sur la pellicule.
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Susan Sontag, dans son essai On photography (1977) soulignait la mission artistique et sociale de la photo. Écrire sur la photographie, c'est écrire sur le monde, disait-elle et elle ajoutait que la photo n'était que la surface, qu'il fallait y appliquer une réflexion, une sensibilité, une intuition pour y trouver ce qu'il y a au-delà, ce que doit être la réalité.

C'est précisément ce que Photosensibles, présenté au Prospero par La Vierge folle, nous suggère. À partir de cinq photographies très connues qui ont fait le tour du monde, cinq auteurs ont écrit des textes qui s'attardent à la genèse et à la fabrication de ces moments fixés sur la pellicule. Parfois c'est la voix du photographe que l'on entend, parfois c'est le personnage principal de la photo ou un alter ego, mais c'est toujours puissamment écrit et évoqué. Et je tiens à souligner l'extrême originalité de cette proposition. Photosensibles est un spectacle à nul autre pareil, où s'entremêlent narration, musique, images fortes et propos plus personnels et où aucune fausse note ne se décèle.

Maxime Robin est le maître de cérémonie qui fait des liens entre les cinq prestations. C'est un grand blond platine à l'air éthéré, mais qui se révèle singulièrement sympathique et attachant. La Vierge folle, c'est lui et Noémie O'Farrell qui se fait l'interprète du texte de Roxanne Bouchard. Un texte qui raconte à la première personne la guerre en Afghanistan vue à travers les yeux d'une soldate de 21 ans, un moment de théâtre déchirant qui ne cesse de me hanter depuis. D'ailleurs tous les textes sont de très grande qualité. Les auteurs qui ont participé à l'élaboration de cette proposition possèdent tous un remarquable talent et j'étais heureuse d'entendre du Véronique Côté et du Jean-Philippe Lehoux, deux jeunes dramaturges que j'ai toujours aimés. Mais j'ai aussi découvert Roxanne Bouchard, Jean-Michel Girouard et Gilles Poulin-Denis qui sont tout aussi intéressants. J'imagine que pour eux, écrire une histoire à partir d'une photo a dû représenter un bel exercice dans lequel ils se sont complètement investis.

L'interprétation n'est pas en reste. Joëlle Bond, Lise Castonguay, Jean-Michel Déry et Guillaume Pelletier, de même que Noémie O'Farrell, sont parfaitement justes dans l'émotion. Et lorsque c'est le photographe qui parle, c'est souvent avec une parfaite candeur qu'il avoue (tel Richard Lam pour le Vancouver Riot Kiss) qu'il n'a pas vraiment fait exprès de prendre cette photo. Qu'un tel moment parfait fixé pour l'éternité est simplement le fruit d'un hasard capricieux.

Le but est de redonner à ces photos leur essence première. De débusquer aussi les mythes qui, souvent, les entourent. L'enfant surveillé par un vautour dans la photo de Kevin Carter (qui lui a valu le Pulitzer en 1993) n'était pas une petite fille, mais un petit garçon. Carter a pris cette photo alors qu'il était flanqué de soldats qui veillaient à sa sécurité. Et l'enfant a été amené au dispensaire immédiatement après où il a été soigné. On a beaucoup reproché au photographe (qui s'est suicidé un an plus tard) d'être de la même race que ce vautour qui attendait la mort de l'enfant. Mais il y a bien davantage à dire à propos de cet homme torturé menant une vie dissolue et carburant à l'adrénaline du danger des zones de guerre.

Photosensibles c'est cela et plus encore. Un spectacle littéralement multimédia où on retrouve aussi l'apport essentiel de Mykalle Bielinski à la conception sonore et au chant et qui apporte une conclusion magistrale à ce voyage. Oui, tout est question de perception. Personne ne voit les choses de la même manière et la photo peut se prêter à de multiples interprétations. Et puisqu'il s'agit d'une forme d'art, nul doute qu'elle constitue aussi une fenêtre sur l'âme de celui ou celle qui la prend.

Photosensibles, une création de La Vierge folle en codiffusion avec Le Groupe La Veillée, au Prospero jusqu'au 23 avril 2016.

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