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«Cr#%#» d'oiseau cave: insolente mouette

Dans la vie, on veut tous être aimés. Mais on veut aussi la célébrité, être le centre de l'attention et, en prime le retour de la jeunesse enfuie.
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Il n'y a pas de décor, aucun accessoire, un rideau noir couvre les trois murs de la scène. La mise en scène extraordinairement vivante de Michel-Maxime Legault apporte tout son sens à la pièce: pas besoin de rien du tout, le jeu de chacun suffit à ce texte et devient le ciment qui va bétonner l'ensemble.
Julie Rivard
Il n'y a pas de décor, aucun accessoire, un rideau noir couvre les trois murs de la scène. La mise en scène extraordinairement vivante de Michel-Maxime Legault apporte tout son sens à la pièce: pas besoin de rien du tout, le jeu de chacun suffit à ce texte et devient le ciment qui va bétonner l'ensemble.

Que dire de ce Cr#%# d'oiseau cave qu'on peut voir à La Licorne? Que du bien, croyez-moi. Comme le dit Conrad dans la pièce: «Il faut faire les mêmes affaires, mais mieux.» En effet, tout a été dit, il s'agit de le dire autrement.

Et ça peut être casse-cou de reprendre La mouette de Tchékov, de disséquer cette pièce qui dit beaucoup, mais dans un décor et une langue surannés, et d'en faire un objet actuel, résolument contemporain en y ajoutant une dose de post-modernisme avec de l'autodérision et de l'autoréférentiel. Et, pour faire bonne mesure, abolissons le quatrième mur afin que les comédiens s'adressent au public sans contrainte.

Et ça fonctionne parfaitement: c'est une heure quarante de plaisir où, en compagnie d'une distribution impeccable, on rit beaucoup, et où on est un peu attristé.

Aussi, et c'est là le plus important, on saisit la profondeur de ce texte et la richesse de ces thèmes explorés depuis toujours. Cette pièce, dont le titre original est Stupid Fucking Bird, on la doit à un dramaturge américain, Aaron Posner. Elle est magistralement traduite et adaptée par Benjamin Pradet et mise en scène de façon complètement intelligente par Michel-Maxime Legault.

Conrad (François-Xavier Dufour, une formidable présence) écrit des pièces de théâtre. Sa mère, Emma (Danielle Proulx, divine en diva insupportable) est une actrice célèbre, son beau-père, Trigorine (Robert Lalonde, toujours excellent) un écrivain renommé. Comme on peut le deviner, tout cela est bien dur à porter pour Conrad.

Et Conrad aime Nina (Catherine Lavoie, à la fois pleine de fraîcheur et calculatrice) qui joue dans sa pièce: Nous.Sommes.Ici, un événement performatif in situ (!). Mais Nina aime Trigorine. Il y a aussi Macha (Roxane Bourdages, la voix de la lucidité) qui est amoureuse de Conrad et qui est poursuivie par David (Sasha Samar, touchant et drôle en amoureux éconduit). De son côté, Richard Thériault joue très efficacement le rôle du frère d'Emma, un médecin dont la vie est pulvérisée par les déceptions.

Dans la vie, on veut tous être aimés. Mais on veut aussi la célébrité, être le centre de l'attention et, en prime, le retour de la jeunesse enfuie et parfois aussi: «que tout s'arrête, tabarnac».

Tout le monde dans Cr#%# d'oiseau cave se démène vaillamment sans beaucoup de résultat et, aussi différents les uns des autres soient-ils, leurs interrogations se dirigent toutes vers la même conclusion: pourquoi vivre? Breaking News: C'est vrai, la vie est difficile, le temps passe, c'est une découverte terrible. Que faire?

Il n'y a pas de décor, aucun accessoire, un rideau noir couvre les trois murs de la scène. La mise en scène extraordinairement vivante de Michel-Maxime Legault apporte tout son sens à la pièce: pas besoin de rien du tout, le jeu de chacun suffit à ce texte et devient le ciment qui va bétonner l'ensemble. À des envolées tragiques suivent des moments désopilants et la traduction en langage familier, mais riche, de Benjamin Pradet, contribue à cet édifice, révélant au-delà de l'anecdote une grande profondeur.

La mère de Conrad lui en veut de n'être que ce qu'il est. Lui est persuadé que le meilleur rôle d'Emma est celui de la-pire-mère-au-monde. Mais c'est ce Conrad complètement névrosé et quelque peu irritant qui est convaincu que le meilleur critère pour juger un artiste n'est pas le succès, comme il est convaincu de l'ultime importance de l'art et du pouvoir que possède le théâtre de transformer la vie.

C'est lui qui mène le bal lorsqu'il interpelle la salle et nous met en face de nos contradictions, c'est lui qui réclame autre chose: un état supérieur, une ultime catharsis, autre chose que cette désespérance et cette insatisfaction continuelle qui l'habite.

Variation sur un classique qui parle principalement de théâtre, Cr#%# d'oiseau cave nous met en face de l'éternel problème que constitue la pièce de théâtre qu'est notre vie et dans laquelle nous jouons. C'est qu'il n'y a eu aucune répétition et aucune générale. C'est à la fois trop et pas assez. Pas étonnant que ce soit un fardeau mortel.

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Cr#%# d'oiseau cave: Une production du Théâtre de la Marée Haute en codiffusion avec La Manufacture, à La Licorne jusqu'au 25 mai 2019.

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