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«Nous voilà rendus»: un spectacle adorable

«Nous voilà rendus», présenté à l'Usine C jusqu'à samedi, parle de la vieillesse et de ses écueils mais, paradoxalement, on en ressort ragaillardis et avec un nouveau regard sur ce qui nous attend tous inéluctablement.
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Ce spectacle est la plus jolie surprise de cet hiver. Nous voilà rendus présenté à l'Usine C jusqu'à samedi, parle de la vieillesse et de ses écueils, mais paradoxalement, on en ressort ragaillardi et avec un nouveau regard sur ce qui nous attend tous inéluctablement. Et c'est à cause du traitement que nous propose Anne-Marie Ouellet, tout en finesse et en sensibilité, rempli d'un profond respect envers ces personnes résidantes du CHSLD Centre Saint-Georges qui ont accepté de participer à ce projet unique.

Anne-Marie Ouellet est sur scène au début et nous parle de son oncle Luigi à qui elle est très attachée. Luigi est atteint d'Alzheimer et elle le visite fréquemment. Il est conscient de ses pertes de mémoire et Anne-Marie constate qu'il s'acharne à retrouver le souvenir du souvenir, ce lien ténu qui concrétise son appartenance à la vie qu'il a vécue. Pendant un an, pour un projet en collaboration avec l'Usine C, Anne-Marie Ouellet et Thomas Sinou vont se mettre à l'écoute de ces personnes en perte d'autonomie.

La beauté de la chose c'est que ces mêmes personnes se retrouvent sur scène, ou alors sur enregistrements sonores et que ce sont les authentiques voix que nous voyons et entendons. Ils sont tous d'un naturel stupéfiant, comme s'ils avaient fait cela toute leur vie, virevoltant en chaise roulante, chantant ou dansant, racontant des moments de leur existence. Ils sont superbes et attachants.

Ce qui se précise dans les discours, c'est la perte, le manque, ce qui disparaît à tout jamais et qu'on ne peut plus retrouver. Madame Aubertin, dont on entend la voix, raconte dans une ultime métaphore qu'elle a eu deux enfants et qu'elle a pris en famille d'accueil pendant dix ans deux autres enfants qui lui ont ultimement été enlevés. Elle ne les a jamais retrouvés, ne les a jamais revus, malgré tous les efforts entrepris en ce sens. Une autre dame en chaise roulante évolue sur la scène en chantant Crazy de Patsy Cline (enfin, je pense bien); Conrad Chamberlain, en tuque et cravate (avec un look Hipster, dira Anne-Marie qui supervise les déplacements des participants) va raconter un souvenir d'enfance, un premier amour alors qu'il avait dix ans. D'autres souvenirs émergent chez nos charmants comédiens amateurs: la plage et le soleil ou un voyage à Paris avec un amoureux. Et ce sont des choses agréables, comme si la mémoire qui flanche sélectionnait des souvenirs liés au réconfort pour peut-être compenser le fait qu'on a oublié le nom de ses enfants.

Anne-Marie Ouellet apporte toute la chaleur humaine requise pour traiter de ce sujet. Ce qui pourrait se révéler très lourd et à la limite du supportable est rempli de tendresse et de moments de grâce. Elle donne la parole à des gens qu'on n'écoute jamais et le résultat est adorable. Et il faut mentionner l'exquise scénographie de Thomas Sinou qui nous propose entre autres un ballet de chaises roulantes, bizarres robots habités d'une vie propre à l'image de ce spectacle rempli de choses auxquelles on ne s'attendait pas.

On commence par oublier où on a mis nos clefs, puis on oublie de fermer le rond de poêle, puis on oublie notre nom et puis les noms de tous. Nous voilà rendus fait état de cela, mais sans aucun apitoiement. Il s'agit d'un constat, le constat de ce que la vie nous fait: de l'irrévocable usure causée par le temps. On n'y peut rien. Mais je me souhaite et je souhaite à tous qu'une Anne-Marie Ouellet soit là, au détour du corridor du CHSLD, pour écouter ce qui est encore dit, ce qui subsiste de mémoire et de souvenir et qui se révèle peut-être le plus important.

Nous voilà rendus, une production L'eau du bain, à l'Usine C jusqu'au 5 mars 2016.

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