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Le misanthrope comme vous ne l'avez jamais vu

Tout marche absolument dans ce spectacle, dans cette transposition de Molière dans notre univers contemporain. Les comédiens sont admirablement dirigés, le décor de salon bourgeois et cette idée de l'ascenseur qui amène les protagonistes est géniale.
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Qui l'eut cru? J'ai adoré une production d'une pièce de Molière où il y a des cellulaires, des selfies et où on met sur YouTube une vidéo compromettante pour Célimène! Mon étonnement est sans borne. Car j'ai toujours soutenu que le 17ème siècle doit ressembler au 17e siècle. Parbleu! J'ai toujours fait fi de cette école de pensée théâtrale où l'on transforme Antoine et Cléopâtre de Shakespeare en comédie musicale! Où on fait des précieuses ridicules des féministes bobos! Et bien, je retire tout ce que j'ai dit. Seuls les imbéciles ne changent pas d'idée etc. Le misanthrope mis en scène par Michel Monty et présenté au Rideau vert est une réussite totale, un formidable accomplissement, une de ces productions que l'on voudrait revoir et qui dépoussière de la plus extraordinaire façon qui soit ce classique, peut-être le mal-aimé du répertoire de Molière.

Je ne sais pas par quel bout commencer : tout est tellement bon là-dedans...Allons-y avec Alceste (François Papineau, superbe) : ce personnage qui semble souvent rébarbatif, tant par ses propos que son attitude, et qui s'est donné comme mission de dénoncer l'hypocrisie de ses pairs. Il explique à son ami Philinte (David Savard, parfait en tout point) qu'il veut s'évertuer à châtrer sans pitié ce commerce honteux de fausse amitié qu'il retrouve partout autour de lui. Alors que Philinte prône le mensonge diplomatique afin de ne pas trop heurter les sensibilités, Alceste avoue qu'il ne conçoit pour la nature humaine qu'une effroyable haine puisque pour lui, tout rapport où entre une once de complaisance ou de malhonnêteté lui semble toxique. Survient Oronte (Stéphane Jacques, suave) qui tient absolument à lire un de ses (très mauvais) poèmes qu'il a d'ailleurs sur son IPad. Et même si Philinte soutient qu'en termes galants ces choses-là sont dites, Alceste, blême de fureur, descend en flammes les tentatives de versification d'Oronte. Alceste comprend bien, à ce moment-là, qu'il n'est pas toujours facile d'exercer le métier de critique...

Le problème principal pour Alceste réside dans le fait qu'il est amoureux fou de Célimène (Bénédicte Décary, altière, voluptueuse et adorable dans ses manigances), dont l'esprit n'a d'égal que la capacité de bitcherie. Elle adore parler dans le dos des gens, les mêmes à qui elle pousse le compliment lorsqu'elle les rencontre dans les soirées. Le drame (mais tout de même fort plaisant) et l'incompréhension (mais les humains sont difficiles à cerner, c'est bien connu) suivront dans une cavalcade de scènes rythmées, dans un décor magnifique avec des interprètes qui manient l'alexandrin comme s'ils le pratiquaient depuis leur plus tendre enfance. C'est certainement le misanthrope le plus limpide, le plus enjoué et le plus drôle qu'il m'ait été donné de voir.

Tout marche absolument dans ce spectacle, dans cette transposition de Molière dans notre univers contemporain. Les comédiens sont admirablement dirigés, le décor de salon bourgeois et cette idée de l'ascenseur qui amène les protagonistes est géniale. Les costumes, très BCBG, sont impeccables : les hommes avec ce qu'il faut de dispendieuses excentricités et les personnages féminins avec de superbes oripeaux et des souliers sortis en droite ligne de Sex and the City. La société brillante, superficielle et hypocrite de la cour de Louis XIV que Molière s'évertuait à dénoncer est totalement semblable aux mondanités de notre époque : on croirait voir les photos des soirées chic publiées dans Vanity Fair avec tous ces gens qui se font des mamours, prétendant qu'ils sont les meilleurs amis du monde. Pour mieux se déchirer à belle dent mutuellement lorsqu'ils se retrouvent dans l'intimité.

Je ne veux pas passer sous silence la performance d'Isabelle Vincent en Arsinoé, non plus que celle de Catherine De Léan en Éliante, de même que celle de Mathieu Richard en valet qui a peu à dire, mais dont la présence est essentielle. Car voilà, même lorsqu'ils sont sur scène et qu'ils ne participent pas comme tel à l'action, les personnages se révèlent tous tridimensionnels, attentifs, l'oreille et le regard à l'affut, rendant impossible d'oublier leur existence. Ça, c'est de la mise en scène, madame.

Manifestement, tout le monde s'est complètement investi dans ce spectacle et le résultat est un Misanthrope éclatant d'intelligence, d'une troublante actualité et qui nous force à réfléchir sur le prix de l'honnêteté. Car ça se termine mal pour Alceste. Incapable de souffrir ses contemporains, il choisira l'exil loin de la cour. Célimène lui préférera son statut Facebook. Et c'est ainsi que Molière résonne toujours aussi haut et fort au 21e siècle.

Le misanthrope de Molière : au Théâtre du Rideau vert jusqu'au 28 février 2015.

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