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Manifeste de la jeune-fille: désamorcer les clichés

, présenté à l'Espace Go, est une pièce brillamment construite et intelligemment charpentée démontrant une psychologie profonde et cruelle couplée à une bonne dose de férocité.
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Olivier Choinière est l'humaniste songeur de notre théâtre. Avec ce Manifeste de la jeune-fille, présenté à l'Espace Go, il s'attaque à... à tout. Et les chemins qu'il dessine adoptent des arabesques surprenantes, des labyrinthes, des carrefours et aussi des culs-de-sac qui expriment une tangible et violente réalité.

Dans le magnifique décor de Max-Otto Fauteux évoluent sept formidables comédiens. Tour à tour, ils vont incarner dans les trois temps de la pièce, des top-modèles, des gens comme vous et moi tendance gauchistes et des djihadistes. L'astuce de la construction du texte réside dans le fait que c'est le vocabulaire et les préoccupations des magazines féminins qui servent de fil conducteur à cette exploration du monde contemporain. Les tests de personnalité (Qui es-tu vraiment?), les articles sur la confiance et l'acceptation de soi, les trucs pour trouver l'amour, l'apologie de la chirurgie esthétique pour devenir soi-même, la recette pour trouver l'équilibre dans toutes les sphères de sa vie et pour avoir le temps pour les choses importantes... Et comme dans les magazines féminins, les vêtements ont une importance cruciale, les comédiens changeant de tenue afin de refléter les diverses personnalités qu'ils adoptent, les costumes de Elen Ewing (fantastiques, soit dit en passant) véhiculant aussi bien que le texte les émotions et l'absurdité inhérente d'un discours désireux de changer le monde. Tout cela dans une exigeante mise en scène, bondissante et dynamique, chorégraphiée comme un ballet et où tout fonctionne parfaitement.

La beauté de la chose c'est que cela fonctionne admirablement. Que l'on parle de la dernière mode, des diètes sans gluten, des complots de l'industrie agroalimentaire, des petits gestes au quotidien, qu'on nous incite à faire pour sauver la planète, des reproches de la Génération X et des Millenials envers les Baby Boomers, de la pertinence des manifestations pour protester ou de la justification du radicalisme, le vocabulaire des magazines féminins, retourné comme une crêpe, avec ses clichés et ses évidences contribue à la brillante démonstration de notre aliénation. Que souhaitons-nous si ce n'est le bonheur, ou du moins un assoupissement du malheur? Nous sommes tous la jeune-fille, en effet.

Le texte nous rappelle que la croissance ne peut se poursuivre indéfiniment et que le monde et les institutions tels que nous les connaissons vont finir par s'écrouler.

Pour ce spectacle sans concession, il fallait une distribution impeccable. Nous avons le bonheur de voir sur scène une fabuleuse Monique Miller au sommet de sa forme et un merveilleux Gilles Renaud maniant l'ironie et le sarcasme comme pas un. Maude Guérin (qui porte les masques les plus affreux de l'histoire du théâtre contemporain) est divine comme toujours. Joanie Martel est fracassante dans toutes ses incarnations, Emmanuelle Lussier-Martinez nous démontre une fois de plus qu'elle est une grande comédienne et Stéphane Crête et Marc Beaupré jouent avec bonheur la gravité affublée du masque de la futilité.

Le constat est pessimiste. Ça ne peut pas continuer comme ça, c'est clair, le texte nous rappelle que la croissance ne peut se poursuivre indéfiniment et que le monde et les institutions tels que nous les connaissons vont finir par s'écrouler. La pièce se termine par une ode au théâtre, à l'art salvateur, à la scène comme dernier endroit sur terre où l'artiste réfléchit sur la réalité, où on explore d'autres possibles, d'autres facettes de l'âme humaine. Et Olivier Choinière de se moquer de tout cela, nous rappelant que, tout comme le reste, le théâtre est une institution avec ses codes et ses propres clichés pouvant aussi être en butte à la dérision.

Pessimiste oui, mais brillant de fantaisie, d'audace et de talent. Manifeste de la jeune-fille est une pièce brillamment construite et intelligemment charpentée démontrant une psychologie profonde et cruelle couplée à une bonne dose de férocité et l'auteur nous la propose avec une extraordinaire habileté. Choinière est une figure singulière qui refuse de réfléchir en silence ou d'une manière confidentielle. Cela complique, mais justifie aussi la vie et on devrait s'offrir une extravagance comme celle-là de temps en temps.

Manifeste de la jeune-fille : à l'Espace Go jusqu'au 18 février 2017.

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