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«Madra»: quand un amour maternel sans limite dérape

Cette production du Théâtre du Bistouri est une super bonne pièce, qui met en relief la peur qui habite tous les géniteurs lorsqu'il s'agit de la liberté à accorder à leurs enfants.
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Tout est beau jusqu'au moment où Claire, qui ramène Gabriel après une journée qu'ils ont passée ensemble, raconte qu'au restaurant où elle se trouvait, elle a laissé un étranger amener Gabriel à la toilette.
Hugo B. Lefort
Tout est beau jusqu'au moment où Claire, qui ramène Gabriel après une journée qu'ils ont passée ensemble, raconte qu'au restaurant où elle se trouvait, elle a laissé un étranger amener Gabriel à la toilette.

Nous vivons à l'ère des parents-hélicoptères: ces parents qui surprotègent leurs enfants, qui font leurs devoirs, qui paient illégalement les bureaux d'admission de prestigieuses universités afin que leurs rejetons-pas-si-brillants-que-ça puissent y étudier, ces parents qui ont peur de tout pour leurs précieux héritiers et qui contribuent à en faire des êtres timorés bien peu armés pour ce que l'existence leur réserve.

Madra (Gut, en anglais) de Frances Poet, une dramaturge résidant en Écosse, est une pièce qui traite du dérapage qui accompagne parfois un amour maternel qui ne connaît plus de limites. Présentée à La Licorne, cette production du Théâtre du Bistouri est une super bonne pièce qui met en relief la peur qui habite tous les géniteurs lorsqu'il s'agit de la liberté à accorder à leurs enfants.

Alex (Marc-André Thibault) et Madra (Sylvie De Morais-Nogueira) sont un jeune couple de la classe moyenne, parents du petit Gabriel, trois ans. Claire (Louise Bombardier) est la mère d'Alex et la Mamie-gâteau qui adore son petit-fils et lui permet des soupers de pizza et de chocolat.

Tout est beau jusqu'au moment où Claire, qui ramène Gabriel après une journée qu'ils ont passée ensemble, raconte qu'au restaurant où elle se trouvait, elle a laissé un étranger amener Gabriel à la toilette.

Il y avait un besoin pressant, elle avait les bras chargés de cabarets et l'étranger avait l'air d'un brave monsieur. Pour la grand-mère, qui a grandi dans un contexte où on pouvait faire confiance aux gens, cette anecdote relève de la plus grande banalité. Mais les parents sont évidemment horrifiés et lui interdisent de passer dorénavant du temps avec Gabriel.

Pour Madra, la mère, il s'agit là de la pire chose qui ne soit jamais arrivée dans sa vie. Nous allons assister à sa descente aux enfers, aux précautions maniaques qu'elle prend pour protéger son enfant de dangers demeurant hypothétiques. Elle va quitter son emploi, passera ses journées avec le petit, ne le lâchera plus du regard, vivant dans la crainte perpétuelle du pédophile et allant jusqu'à poser un geste si terrible que la salle en a frémi lors de la représentation.

Il y a de l'humour dans cette pièce, heureusement, mais au fur et à mesure du développement de l'histoire, un malaise profond s'installe. Ma première réaction a été de penser: cette femme est folle.

Et oui, elle l'est, mais je comprends absolument ce qu'elle ressent lorsqu'elle pense qu'on a pu vouloir faire du mal à son enfant. C'est quelque chose de viscéral, d'animal, qui relève de l'instinct et où la logique et le bon sens n'ont aucune chance de s'installer. Tous les parents peuvent comprendre ça.

Frédéric Blanchette fait des apparitions ponctuelles dans la pièce, en papa de la garderie, en collègue et ami d'Alex, en voisin qui entre dans la cour où joue le petit. On ne sait jamais si ses personnages sont des bons ou des méchants; il incarne l'autre, le danger potentiel oui, mais le bon samaritain aussi, l'étranger salvateur. C'est là que réside tout le problème de la mère: elle est incapable de discerner et de séparer le bon grain de l'ivraie.

Marie-Hélène Gendreau nous donne une mise en scène dynamique, sans temps mort dans l'ingénieuse scénographie de Véronique Bertrand où des claies de bois sont mises en place pour créer les différents lieux.

Les comédiens sont tous excellents, surtout Sylvie de Morais-Nogueira qui ressent au plus profond d'elle-même le désarroi et la terreur de cette maman dépassée par les événements.

De son côté, Marc-André Thibault est parfaitement convaincant en jeune père qui veut bien faire et qui ramasse tous les soirs les jouets épars de son fils, mais qui oublie toujours de réparer le loquet de la clôture. C'est également lui qui a traduit et adapté la pièce, ce qu'il a fait brillamment. Louise Bombardier incarne la grand-mère aimante idéale et Frédéric Blanchette a juste ce qu'il faut d'inquiétant, mais aussi de sympathique pour semer le doute dans les esprits.

J'en ai connu et j'en connais encore, des jeunes mères qui ont peur de tout pour leurs enfants: des microbes, des voitures, des autres enfants, des adultes tout autour, de la vie.

C'est difficile d'être parent. Il faut laisser les enfants être, dans une certaine limite bien sûr, et ça ne sert à rien de se lever la nuit pour vérifier s'ils respirent encore. En fait, il y a de grosses chances que l'enfant respire encore pendant de très, très nombreuses années.

Madra: Une production du Théâtre du Bistouri en collaboration avec La Manufacture, à la Licorne jusqu'au 26 avril 2019, avec des supplémentaires les 13, 20 et 27 avril.

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