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Le pain et le vin: à manger et à boire

Aprèset, la boucle est bouclée avec cette troisième incursion anthropologique et théâtrale dans nos mœurs quotidiennes.
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Nous sommes des gens de porte d'en arrière et de table de cuisine. Ce concept inaliénable fait partie de nous au même titre que le goût et les odeurs contribuent à l'évocation des souvenirs. Proust n'a rien inventé avec sa madeleine, tous autant que nous sommes avons des réminiscences réveillées et stimulées par un parfum de nourriture ou une odeur de plat cuisiné, évoquant notre lignée ou nos origines. La cuisine contemporaine peut bien revisiter tout ce qu'elle veut de la manière la plus inventive qui soit, pour beaucoup rien ne pourra jamais se comparer au bouilli de légumes, à la tourtière ou à la tarte au sucre de nos mères ou grands-mères. Et pour le troisième et dernier volet de L'Histoire révélée du Canada français 1608-1998, Alexis Martin accorde toute l'importance qu'il faut à ce volet olfactif et gustatif.

Après L'invention du chauffage central en Nouvelle-France et Les chemins qui marchent, la boucle est bouclée avec cette troisième incursion anthropologique et théâtrale dans nos mœurs quotidiennes. Le poêle à bois est toujours là, sur scène, de même que la sympathique et très douée chienne Labrador qui fait toujours preuve d'un calme olympien même lorsque tout le monde s'excite autour d'elle. Alexis Martin narre les divers épisodes, cette fois-ci entre les quatre murs d'un institut dont la nature demeure mystérieuse. Et il nous entraîne à travers notre Histoire dans un voyage que je n'oserais qualifier de gastronomique, mais où nos habitudes alimentaires et ce qui les a influencées occupent le premier plan.

Comme dans les autres volets, on rend aux Amérindiens un hommage bien senti en reconnaissant l'apport qu'ils ont eu dans notre acclimatation nord-américaine. Sans eux, il y aurait eu probablement encore davantage de victimes du scorbut dans les établissements français du début du 17e siècle. Et sans eux, on ne mangerait pas de maïs ou d'ail des bois. On ne fait pas abstraction non plus de certaines pratiques cannibales qui avaient cours à l'époque et dont ont été victimes entre autres Jean de Brébeuf et Gabriel Lalemant, nos Saints Martyrs canadiens. Jehane Benoît, rendue avec beaucoup de justesse et une pointe d'ironie par Danielle Proulx, fait des apparitions régulières et nous donne sa recette d'Herbes salées du Bas-du-Fleuve, sans lesquelles la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. Elle se fait aussi avec la Victory soup, la propagandiste de la cuisine canadienne et souligne avec justesse l'apport des femmes dans cette culture qu'on regardait parfois de haut. On tue le cochon aussi dans Le pain et le vin tout en rappelant qu'en 1837 Louis-Joseph Papineau a appelé au boycott des produits alimentaires anglais. L'épisode sur l'arrivée de la boîte de conserve au milieu du 19e siècle est particulièrement efficace. On donne la parole au journaliste américain Upton Sinclair qui a écrit en 1905 un livre sur les abattoirs de Chicago et les conditions dans lesquelles on fabriquait ces conserves, de quoi vous enlever à jamais l'envie de manger du Klik et Kam.

Il y a plusieurs moments très drôles et terriblement efficaces dans Le pain et le vin : la discussion autour de la table des idéaux de la jeunesse de 1970, le type assis dans la dernière taverne réservée aux hommes appelée elle aussi à disparaître et qui se plaint que les bars sont dorénavant bio-sexuels. Mais il y a aussi des moments poignants lorsqu'on se rend compte que l'exil des fils d'agriculteurs vers les villes au 20e siècle a eu comme résultat une acculturation alimentaire et une perte de ce rapport intime et étroit avec la nourriture qu'on produit, qu'on sème, qu'on récolte.

Encore une fois, avec très peu d'accessoires et de décors, le NTE fait beaucoup. La mise en scène de Daniel Brière tient compte de tout cela et n'est pas dépourvue de clins d'œil qui mettent l'accent sur le contenu. Les comédiens, tous très à l'aise dans cette aventure, sont parfaits. Le seul reproche que je ferais c'est d'avoir escamoté certains aspects de cette culture, dont l'apport des Anglais à la façon dont nous mangeons, entre autres les petits déjeuners. Mais c'est un bien doux reproche et si Alexis Martin avait parlé de tout, nous serions encore assis à l'Espace libre. Il a plutôt choisi de nous donner une nourriture pour l'âme à se mettre sous la dent. Et pour cela, je le remercie.

Le pain et le vin : une production du Nouveau Théâtre Expérimental, à L'Espace libre jusqu'au 11 octobre 2014.

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