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«Le bizarre incident du chien pendant la nuit»: une enfance pas comme les autres

Une pièce où le personnage principal est en exil dans un monde qui ne lui convient pas.
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Caroline Laberge

«Christopher, 15 ans, découvre en pleine nuit le chien de sa voisine, Wellington, mort avec un fourche plantée dans le corps». C'est l'élément déclencheur de ce Bizarre incident du chien pendant la nuit que nous présente le Théâtre Jean-Duceppe, une superbe production qui vaut vraiment la peine d'être vue.

Simon Stephens a fait l'adaptation théâtrale du roman de Mark Haddon publié en 2003 et Maryse Warda s'est occupée, parfaitement comme à l'habitude, de traduire et d'adapter le texte. Les gens parlent comme nous mais vivent en Angleterre et tout coule de source. Le talent de la traductrice se retrouvant dans cette façon de nous présenter des personnages évoluant dans un pays étranger, mais s'exprimant dans une langue qui nous est familière. À la mise en scène, Hugo Bélanger (Münchhausen, Le tour du monde en 80 jours) exploite à plein la scène du Théâtre Jean-Duceppe, trop souvent sous-utilisée, avec ses trappes et ses différents niveaux, ses cubes qui surgissent du sol, ce mur du fond qui devient plan du quartier, tableau de la progression de l'enquête, cosmos, en plus de faire preuve de l'inventivité qui le caractérise. Il y a plein de moments ravissants dans cette pièce, les comédiens sont admirablement dirigés et les vidéos de Lionel Arnould sont tout simplement magnifiques. Les deux heures vingt-cinq (avec entracte) passent comme un éclair devant un public complètement séduit par cette excellente histoire rendue avec énergie et passion.

Christopher n'est pas un enfant comme les autres, il a horreur qu'on le touche, il ne comprend pas les métaphores tout comme il ne sait pas lire les émotions sur les visages. Le bruit, les gens l'agressent et sa vie est réglée comme du papier à musique, il vit dans un monde où les nombres premiers et les mathématiques avancées comblent ses désirs d'évasion. Mais à la suite de la mort de Wellington, il décide de mener son enquête, ce qui l'amène à découvrir bien des choses, à rencontrer des gens auxquels il ne s'est jamais intéressé et à entreprendre un improbable voyage représentant un sérieux exploit pour quelqu'un comme lui. On peut lire le Bizarre incident du chien pendant la nuit comme un roman d'apprentissage, l'originalité résidant dans le fait que le personnage principal est en exil dans un monde qui ne lui convient pas.

Sébastien René est incroyable dans le rôle de Christopher dans ses cris, ses crises, ses mouvements saccadés, ses gaucheries qui ne l'empêchent pas d'être imprégné d'une inattendue et attachante noblesse. Il ne quitte pas la scène pendant toute la durée du spectacle et je me disais que son cœur devait battre plus fort, son sang vibrer davantage après une performance comme celle-là et qu'il devait aussi exister plus fortement. Tous les autres comédiens sont excellents, remplissant plusieurs rôles et changeant de costumes à un rythme effréné.

Adèle Reinhardt est délicieuse en Madame Alexander, la voisine âgée qui va mettre Christopher sur une piste qu'il n'avait même pas imaginée et Normand D'Amour est parfait dans ce père affectueux mais contrôlant qui cache bien des choses à son fils. Catherine Proulx-Lemay incarne cette mère que Christopher croit morte et elle m'a beaucoup touchée avec ce rôle : aimante et exaspérée, pleine de tendresse mais aussi d'impuissance face à cet enfant dont le moins qu'on puisse dire c'est qu'il est difficile, elle transcende toutes les mères qui parfois perdent patience, le regrettent, se rachètent. Des mères certes imparfaites, mais comme le disait Bruno Bettelheim, good enough.

La pièce est remplie de moments charmants : lorsque Christopher va aux toilettes dans le train, lorsqu'il discute du paradis et de Dieu avec le Révérend, lorsque des valises se transforment en phares de voiture...Ce Christopher préférerait, et de loin, que la vie soit créatrice d'ordre et non pas de confusion, mais c'est à travers cette même confusion qu'il trouve en lui la force de poser des actes dont il ne se savait même pas capable et ainsi il se forme, il évolue, il fait ses armes. Au sein du chaos, Christopher se rend compte qu'il possède les outils pour en découvrir les lois.

La prochaine saison, sous la nouvelle direction artistique, semble très prometteuse. Et ce Bizarre incident du chien pendant la nuit termine 2017-2018 de façon fort heureuse, avec une pièce formidable, sauvagement tendre, qui introduit quelque chose de plus grand dans l'anecdote et rendue par un paquet de gens pleins de talent qui ont produit du vraiment bel ouvrage.

Le bizarre incident du chien pendant la nuit : Au Théâtre Jean-Duceppe jusqu'au 19 mai 2018.

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