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La fureur de ce pensait Nelly Arcan

, présenté à l'Espace Go, accomplit le magistral travail de nous prendre par la main et de nous amener dans l'univers si particulier de Nelly Arcan. On nous y accompagne, on nous y apprivoise, et même si c'est un monde où, personnellement, je ne voudrais pas vivre, cette pièce de théâtre m'a enfin permis de comprendre la souffrance et le désarroi de cette femme.
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Caroline Laberge

Je parlais récemment avec une nouvelle connaissance et le sujet de la conversation glissa vers le suicide. Je sais, ce n'est pas très léger, mais c'est ainsi, parfois, avec des gens intéressants. Cette personne me raconte qu'elle avait déménagé en 2009 de son appartement du Plateau et que c'est Nelly Arcan qui y avait emménagé. C'est là que, quelques mois plus tard. elle s'était suicidée.

La coïncidence ou la synchronicité, appelez cela comme vous voulez, veut que j'ai vu La fureur de ce que je pense deux jours avant cette conversation. Construit d'après les textes de Nelly Arcan, ce spectacle a constitué pour moi la clef d'une compréhension, d'une empathie que je n'avais jamais ressenties jusqu'à maintenant. J'ai toujours trouvé que Nelly Arcan était poseuse. Elle me tombait royalement sur les nerfs avec son accent artificiel et ses dénonciations de l'exploitation du corps de la femme et du fardeau du regard des hommes alors qu'elle avait recours à la chirurgie esthétique dans cette hantise de vieillir qui la tenaillait. Toutes ces contradictions que je trouvais mal assumées avaient le don de m'exaspérer et je ne comprenais pas qu'obsédée comme elle l'était par le corps, la jeunesse et la beauté, elle pouvait en même temps prôner la supériorité de l'être et de l'essence sur l'apparence.

Mais maintenant, j'ai compris. La fureur de ce que je pense, présenté à l'Espace Go, accomplit le magistral travail de nous prendre par la main et de nous amener dans l'univers si particulier de Nelly Arcan. On nous y accompagne, on nous y apprivoise et même si c'est un monde où, personnellement, je ne voudrais pas vivre, cette soirée m'a enfin permis de comprendre la souffrance et le désarroi de cette femme et elle m'est apparue presque sympathique.

Tout cela est dû à une remarquable production. La mise en scène de Marie Brassard est phénoménale et elle est accompagnée d'une scénographie d'un esthétisme à couper le souffle. Sur scène, dix cubes sur deux étages où les six comédiennes (qui sont toutes excellentes, il va sans dire) nous parlent à travers une vitre. Elles incarnent Nelly Arcan à différentes étapes de sa vie, de l'enfant à l'adulte en passant par la vierge et la putain. Nous suivons donc ce cheminement cahoteux, plein d'embûches, qui la mènera ultimement à se passer une corde autour du cou et à en finir une fois pour toutes. On a donné au texte des qualités incantatoires, les comédiennes le triturent, jouent avec ses sonorités, le hurlent ou le chantent dans une superbe alchimie du verbe. La musique appuie et intensifie les effets de la voix et les choix des couleurs pour les costumes ou les décors créent des atmosphères qui vont du louche au lyrique, mais qui fournissent toujours au spectateur un point focal explosif. Comme Rimbaud avait donné des couleurs aux voyelles, Marie Brassard a donné des pigments aux états d'âme.

Tout cela est très intense et, avec son heure 35 minutes, le spectacle est parfait. C'est d'ailleurs cet équilibre, ce dosage qui donne un si grand impact à La fureur de ce que je pense. Et, par-dessus tout, cette humanisation d'un discours qui a parfois tendance, dans les livres de Nelly Arcan, à rompre les amarres.

Nelly Arcan n'a pas réussi à trouver le fil d'Ariane dans le labyrinthe de sa douleur. L'art ne l'a pas sauvée, sa quête de pureté n'a pas donné de résultats. Mais grâce à Sophie Cadieux et à Marie Brassard je sais que son roman Folle aurait pu s'intituler Illuminée. Car dans sa folie il y avait une terrible lucidité.

La fureur de ce que je pense est présentée à l'Espace GO jusqu'au 5 mai 2013.

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