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«La déesse des mouches à feu»: une fabuleuse pièce, de fabuleuses interprètes

J'avais beaucoup aimé le roman il y a quatre ans. Mais je ne m'attendais pas à la tempête d'émotions que ce spectacle a déclenchée en moi, dans mes tripes et dans mon cœur.
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Bruno Guérin

Parfois, pas trop souvent, j'assiste à une pièce et je me demande si ce que je vais écrire sera à la hauteur de ce que j'ai vu. C'est le sentiment qui m'habite, un mélange d'enthousiasme et d'insécurité, à la suite de cette représentation de La déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen au Théâtre de Quat'Sous. Je viens du Saguenay. J'avais beaucoup aimé le roman il y a quatre ans. Mais je ne m'attendais pas à la tempête d'émotions que ce spectacle a déclenchée en moi, dans mes tripes et dans mon cœur.

Catherine, la narratrice de 14 ans du roman, est démultipliée sur la scène. Onze jeunes filles l'incarnent à tour de rôle et je veux toutes les nommer : Amaryllis Tremblay, Élizabeth Mageren, Charlie Cliche, Jade Tessier, Éléonore Loiselle, Zeneb Blanchet, Évelyne Laferrière, Kiamika Mouscardy-Plamondon, Éléonore Nault, Lori'Anne Bemba, Alexie Legendre. Parce qu'elles sont incroyables, parce que leur jeu alliant le feu et la sincérité subjugue le public et parce que je n'ai jamais vu auparavant tant de folle énergie et de talent brut se déployer sur une scène.

Elles ont été bien sûr admirablement dirigées par Alix Dufresne et Patrice Dubois dans une mise en scène électrique, extrêmement dynamique, mais qui laisse aussi le chagrin, le désarroi, la peine s'installer lorsqu'il le faut avec un dosage parfait. Nous sommes en 1996 à Chicoutimi et aussi en 2018 à Montréal, Catherine fait des apprentissages dont elle ne sortira pas indemne avec comme décor des parents indifférents qui se disputent avec une rare violence, des cabanes dans le bois où on boit et on se drogue, des premiers pas vers l'amour ou ce que l'on croit être l'amour, la musique de Kurt Cobain, l'influence de Pulp Fiction, tout cela traçant le portrait d'une adolescence erratique, sans repères où on brûle souvent les ponts que l'on voudrait construire.

Geneviève Pettersen a adapté elle-même son roman, faisant un judicieux usage des mots, des silences, ne faisant aucun compromis avec la violence qui surgit dans la vie de ces adolescents confrontés au grand questionnement sur la vie, l'amour, la mort.

Geneviève Pettersen a adapté elle-même son roman, faisant un judicieux usage des mots, des silences, ne faisant aucun compromis avec la violence qui surgit dans la vie de ces adolescents confrontés au grand questionnement sur la vie, l'amour, la mort. Je parlais de dosage : le texte navigue parfaitement entre l'humour et le drame, entre autres lorsqu'elles chantent combien elles haïssent leurs mères, mais aussi comment elles vont éventuellement devenir comme elles. Le grand mur blanc dans le fond de la scène avec la déchirure en son milieu symbolise, je crois, cette difficulté d'être et de devenir, ces écorchures que l'on doit subir lorsqu'on veut grandir.

Il y a une présence inouïe chez toutes ces jeunes comédiennes et une vérité dans leur jeu qui subjugue la salle. L'incandescence qui passe par leur corps et leurs voix chaque minute du spectacle m'a rappelé que le théâtre s'approche par moments d'un sacrifice humain où le comédien accepte de s'immoler chaque soir pour laisser une trace. Car cette pièce est une peinture de la jeune fille dans une universalité qui dépasse les frontières de Chicoutimi ou de Montréal. Geneviève Pettersen a soulevé son roman aussi haut qu'on le peut, passionnel sans tomber dans le pathos, rendant la majesté de cette Déesse des mouches à feu, mais aussi sa vulnérabilité et le désir de générosité qui l'habite et qui ne trouve pas d'exutoire dans cette idée du bonheur qui ne fait que l'effleurer. Chronique de l'adolescence, La déesse des mouches à feu nous rappelle qu'on peut être épris de la vie, mais aussi choisir de la quitter avant que ne s'émousse la saveur des choses.

Chronique de l'adolescence, La déesse des mouches à feu nous rappelle qu'on peut être épris de la vie, mais aussi choisir de la quitter avant que ne s'émousse la saveur des choses.

Après la représentation, j'ai entendu les onze jeunes filles qui, dans les coulisses, scandaient : On l'a fait! On l'a fait! On l'a fait! Oui, elles l'ont fait, elles se sont dépassées, elles ont accompli l'exploit de rappeler à toutes les femmes, quel que soit leur âge, qu'il y a toujours à l'intérieur d'elles une petite fille de 14 ans qui est plus forte qu'elle ne le croit même si elle ne voit autour d'elle que de l'obscurité. Ça, c'est être à la hauteur.

La déesse de mouches à feu : une production du Théâtre PÀP, au Quat'Sous jusqu'au 30 mars, avec des supplémentaires les 17, 22 et 31 mars 2018.

Avril 2018

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