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«Ils étaient tous mes fils»: la complicité avec le Mal

D'habitude, Arthur Miller négocie les nuances de la tragédie dissimulées dans les vies de ses personnages pour en arriver au milieu de la vérité. Avec, hélas, ce n'est pas tout à fait le cas.
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La deuxième partie de Ils étaient tous mes fils d'Arthur Miller, présentée au Théâtre Jean-Duceppe est meilleure que la première. En une heure 55 minutes, la pièce, qui se passe en Ohio en 1947, nous raconte l'histoire de la famille Keller qui a perdu un fils à la guerre et où un secret menace l'aisance financière et le semblant d'harmonie qui règne au sein du clan. C'est l'arrivée d'Annie, fiancée de Thomas lorsqu'il vivait, qui va déclencher une série de révélations d'où personne ne sortira indemne.

Dis comme ça, tout cela semble excitant, mais la première heure du spectacle traîne en longueur avec des personnages dont on aurait pu se passer sans nuire à la compréhension des enjeux et je pense ici à la famille Lubey, père, mère et petit garçon dont je me suis demandée à quoi ils servaient. Le texte aurait pu être élagué et gagner ainsi en force, car l'impression qui s'en dégage en est une datée, figée dans le temps qui n'évoque pas la nostalgie, mais laisse plutôt flotter un parfum vieillot, sans le charme que cela comporte parfois. La deuxième partie, plus intense et où les échanges gagnent en passion et en force, rachète heureusement la production.

Michel Dumont est égal à lui-même en patriarche léonin rongé par une culpabilité qu'il est incapable de regarder en face. Louise Turcot suit ses traces en mère ravagée et névrosée qui nie la mort de son enfant, ce Thomas disparu idéalisé et quasi mythifié. Évelyne Rompré, la jeune fille infidèle à la mémoire de son fiancé disparu, m'a semblé un personnage unidimensionnel et je n'ai pas pu mettre le doigt sur ses motivations à soudainement aimer le frère. Benoît McGinnis, bien que très présent sur scène, joue sur une seule note sans nuance aucune. Vincent-Guillaume Otis est le plus surprenant dans un contre-emploi qu'il endosse à merveille, en complet-cravate avec bretelles et chapeau; il est parfaitement plausible dans ce rôle d'avocat cherchant à sauver sa sœur de cette famille responsable des malheurs de leur père emprisonné. Et Julie Roussel, la voisine à la langue de vipère, est un de ces personnages qu'on aimerait voir développé davantage, car ses rares interventions sont parfaitement réjouissantes. C'est elle qui dit les vraies affaires.

Le décor est bizarre. En toile de fond, des petites maisons toutes semblables abritant des familles nucléaires évoquent le développement des banlieues dans l'Amérique de l'après-guerre. Mais c'est sûr que les Keller, avec tout leur argent, possèdent une maison autrement imposante. Cette maison est représentée par une structure de bois inachevée, plutôt laide, dont tout le côté gauche avec une porte et un bout de clôture est complètement inutilisé. J'imagine qu'il fallait meubler l'espace de cette grande scène du théâtre Jean-Duceppe, mais c'est le rôle de la mise en scène de traduire l'étouffement ressenti par les protagonistes et, ici, cet espace n'est pas suffisamment circonscrit pour donner cette impression.

C'est le dialogue qui est le moteur de l'action dans cette pièce, les relations entre les personnages qui font avancer l'histoire. Et la mise en scène de Frédéric Dubois ne se révèle suffisamment nerveuse que dans la deuxième partie où, là, ça déboule et où la tension est palpable lors des échanges. La traduction de David Laurin sonne juste, le texte rendu en langue québécoise est fort bien adapté au contexte de l'époque. Sauf lorsque les personnages font allusion au Myanmar. Le Myanmar s'appelle ainsi depuis 1989, en 1947 on parlait de la Birmanie.

Cette pièce parle donc la culpabilité décodée à travers le spectre de l'obsession américaine pour le succès et la complicité indéniable de l'homme avec le Mal. Le texte d'Arthur Miller demeure un peu trop en surface à mon goût face à ces grands thèmes et ces Keller ainsi que leurs voisins m'ont semblé futiles mêmes s'ils sont affublés du masque de la gravité. Miller est le grand dénonciateur de tout ce qui ne tourne pas rond en Amérique et celui qui refuse les compromis. D'habitude il négocie les nuances de la tragédie dissimulées dans les vies de ses personnages pour en arriver au milieu de la vérité. Avec Ils étaient tous mes fils, hélas, ce n'est pas tout à fait le cas.

Ils étaient tous mes fils : au Théâtre Jean-Duceppe jusqu'au 5 décembre 2015.

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