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Ils étaient quatre: et ils ont trente ans

Eric dit dans: on a besoin de modèles. Le problème, c'est qu'il n'y a pas de modèles pour les hommes au Québec, il n'y a pas de héros Canadiens-Français.
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Eric dit dans Ils étaient quatre : on a besoin de modèles. Le problème, c'est qu'il n'y a pas de modèles pour les hommes au Québec, il n'y a pas de héros Canadiens-Français. Jusqu'à tout récemment, l'élite était composée de curés, de notaires, de médecins et d'avocats. Pas d'hommes d'affaires, pas d'entrepreneurs, pas de créateurs. L'idéal masculin proposé par l'Église catholique : des sacrifiés, des humbles et des martyrs. On a érigé des monuments à Saint-Joseph, le père de Jésus, émasculé, qui n'est pas même pas le géniteur de son enfant. L'Oratoire Saint-Joseph est un symbole de l'impuissance masculine. L'homme québécois vit dans l'absence du pouvoir, il est castré trois fois, par le patron anglais, par l'Église et par sa femme. C'est le hockey qui définit le mâle ici. Les femmes demandent aux hommes d'être différents, bon père, bon mari, bon amant. Mais tout est à inventer. Les femmes et les gais ont des causes, les hommes n'ont rien. C'est dur de vivre avec ça.

C'est le dilemme avec lequel sont aux prises les quatre trentenaires de la pièce de Mathieu Gosselin et Mani Soleymanlou. Guillaume (Guillaume Cyr) est en couple, a un enfant et vit à Longueuil, à sa grande horreur d'ailleurs. Eric (Eric Bruneau) le beau mec et celui qui a le plus de succès professionnellement, voit le couple comme un partenariat. Mani (Mani Soleymanlou) pense principalement au cul et Jean-Mo (Jean-Moïse Martin), le plus âgé du groupe à 36 ans, se déclare très heureux avec sa bière et sa game de hockey après plusieurs tentatives infructueuses de vie à deux. Ils avouent jouer encore au Playstation et désirer que leur vingtaine se prolonge indéfiniment. Mais voilà, ce sont des hommes maintenant, plus des petits garçons.

Un soir, ils s'en vont à un gros party où ils traînent quasi de force Jean-Mo. Selon Mani, ce sera la soirée de leur vie, ils vont s'éclater comme jamais grâce à de la dope formidable et à de nombreux shooters. Oh! Et il y aura des filles aussi. Le texte détaille avec acuité les différentes étapes de cette soirée en plus de rendre compte des angoisses narcissiques de ces jeunes hommes, des conversations décousues de gars saouls, des diatribes menées contre les baby-boomers (leurs parents, non?) ou le taux de taxation, les contradictions d'un univers où on te veut socialement responsable tout en t'incitant à consommer le plus possible. Et consommer ce soir-là, ils le font : de l'alcool et des drogues dans un cocktail explosif qui va amener un événement révélateur qui va remettre en question leur amitié et leurs certitudes.

Le texte est très drôle et très juste. J'ai des fils de cet âge qui voient le temps filer, qui se rendent bien compte que l'adolescence ne dure pas toujours, qui commencent à penser à la mort et qui se posent les mêmes questions. Mais il est un peu dommage que la gravité occasionnelle du propos se perde dans l'incroyable bordel de cette soirée, fort bien rendue par ailleurs. Ainsi ce joli moment avec la chanson Il n'aura fallu, un poème d'Aragon chanté par la divine Renée Claude qui traduit ce mal de vivre, ce désir d'amour, cette soif inextinguible pour quelque chose qu'on ne trouve pas et qu'on ne trouvera peut-être jamais. Les quatre comédiens sont tous parfaits et je donne l'étoile du match à Jean-Moïse Martin dont j'avais remarqué le jeu dans Un tramway nommé désir et qui assume ici le rôle de la conscience du groupe. Il émane de lui une tristesse et une angoisse qui donnent une profondeur insoupçonnée à ce personnage dont, au départ, on attend peu de choses. Lui qui aime la bière et le hockey etc.

La mise en scène de Mani Soleymanlou réussit l'exploit de planter les quatre protagonistes sur scène et de rendre cet immobilisme extrêmement dynamique. Dans leurs gestes, d'une part, et dans l'utilisation de la musique et des éclairages d'autre part. On a l'impression qu'ils bougent constamment alors que dans les faits ils font du surplace. La mise en scène exploite aussi la personnalité de chacun des comédiens pour en extirper la charge émotive ce qui fait qu'on a l'impression de vraiment connaître ces quatre garçons, leurs défauts, leurs qualités, leurs rêves, leurs motivations. Ils étaient quatre est une façon d'explorer cette terra incognita que constitue l'univers de cette génération de jeunes gens, perdus comme personne ne l'a été avant.

Mais entre John Wayne et le nono de service, ils sont où les hommes?

Ils étaient quatre : une production Orange noyée, est présentée à La Licorne jusqu'au 3 avril 2015.

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