Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.
, la pièce de l'auteur russe Ivan Viripaev présentée au Théâtre Prospero, nous amène là où on ne croyait pas aller.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Illusions, la pièce de l'auteur russe Ivan Viripaev présentée au Théâtre Prospero, nous amène là où on ne croyait pas aller. Dans une mise en scène impeccable de Florent Siaud où c'est le texte qui occupe tout l'espace les quatre protagonistes nous racontent la même histoire narrée de points de vue différents, variation sur le thème toujours revisité des Liaisons dangereuses et dont on ne se lasse jamais de découvrir de nouvelles facettes.

Sur son lit de mort, Dennis confie à sa femme Sandra ce que leur 52 ans de mariage ont signifié pour lui. C'est elle, dit-il, qui lui a appris l'amour. Que l'amour est un labeur de tous les instants, que la vie est une attention constante pour une autre personne, que rien ne nous tire de notre égoïsme profond si ce n'est ce sentiment et qu'à cause de cela Dennis considère qu'il a véritablement vécu. Sandra, quelques années plus tard, se meurt aussi. Elle dit à Albert, le meilleur ami de son défunt mari, que c'est lui, Albert, le seul homme qu'elle ait jamais aimé. Qui lui a appris que l'amour véritable ne réclame rien, que ce n'est qu'un don. On apprend aussi que Margaret, la femme d'Albert, aurait été, ou pas, la maîtresse de Dennis pendant des décennies et qu'Albert aurait été terriblement attiré par Sandra tout au long de sa vie. La grande question étant ici : pour exister, l'amour a-t-il besoin de réciprocité?

La scène est complètement vide, quelques projections d'extraits de phrases sur les murs dépouillés, ou de vagues mourant sur une plage pour symboliser l'éternel questionnement des sentiments humains. Quelques accessoires aussi vers la fin. Mais il ne s'agit pas du tout d'un texte lourd ou difficile. Viripaev émaille d'un humour fin ces tergiversations et réflexions humano-philosophiques, il y a des anecdotes, des moments très drôles et il y a des surprises et des révélations sur les deux couples, qui sont vraies, ou pas. Un chat de Schrödinger théâtral si on veut. Et les quatre comédiens semblent vraiment apprécier les tours de piste que leur permet ce spectacle. Évelyne de la Chenelière, toujours parfaite dans ce genre de rôle où elle véhicule de l'émotion brute, Marie-Ève Pelletier, la plus cérébrale du quatuor alors qu'elle joue la nuance et le sarcasme, David Boutin, superbe de présence et de justesse et Paul Ahmarani, ce cobra intelligent devant qui j'ai toujours envie de me jeter à genoux en poussant des cris d'admiration. Et pour une fois, au théâtre, ses vêtements ne semblent pas sortis tout droit des voûtes secrètes de l'Armée du Salut, ce qui est un net progrès. Il n'est pas habillé en Armani, mais son polo et son pantalon sont une coche au-dessus du Village des valeurs.

J'ai pensé aussi à Salinger pendant la représentation, celui de A perfect day for the banana fish. À cause de ce tissu d'absurdités et de questions sans réponses dont est tissée la vie. Et parce que Viripaev, comme Salinger, explore avec fécondité le moment ou l'événement en apparence anodin qui va changer la trajectoire d'une existence. La fin de la pièce est étonnante. Les comédiens résument tout ce qu'on vient de voir avec ironie et humour, ils déconstruisent tout l'échafaudage soigneusement mis en place comme pour relativiser tout ce qui peut être considéré grave ou urgent, ou terriblement important ou une question de vie ou de mort. Un sésame pour ne pas se prendre trop au sérieux.

L'amour, l'amour, l'amour, mais oui je veux bien, mais encore? Viripaev pousse ici la réflexion en donnant à réfléchir sur la frontière mince qui sépare le mensonge de la vérité, l'omission de certains faits, la perception différente selon les êtres des mêmes événements et l'interprétation à laquelle chacun se livre. On envoie des sondes spatiales jusqu'au fond du cosmos. Mais, tout près de nous, l'âme humaine est bien loin d'avoir livré tous ses mystères. Et Ivan Viripaev extirpe de ce paradoxe une savoureuse comédie humaine.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

1- Le journal d’Anne Frank (Théâtre du Nouveau Monde – 13 janvier au 7 février)

25 pièces de théâtre à voir en 2015

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.