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Débris: de choses et d'êtres

Pneus suspendus dans les airs, morceaux de métal tordus sur la scène, fauteuils d'autobus déjantés, c'est le propos, le point de départ de, la pièce de l'Irlandaise Ursula Rani Sarma traduite par Jean-Marc Dalpé et présentée à La Licorne.
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Le décor d'Olivier Landreville nous met tout de suite en situation : pneus suspendus dans les airs, morceaux de métal tordus sur la scène, fauteuils d'autobus déjantés, c'est le propos, le point de départ de Débris, la pièce de l'Irlandaise Ursula Rani Sarma traduite par Jean-Marc Dalpé et présentée à La Licorne.

Un terrible accident d'autobus a laissé deux survivants : Dany (Maxime Denommée), artiste visuel, intact physiquement, mais détruit à l'intérieur, et L.J. (Évelyne Rompré) danseuse nue qui a perdu ses deux jambes et qui est certainement l'un des personnages parmi les plus touchants et les plus vrais à se retrouver sur scène cette saison. Dany cherche et ne trouve pas des remèdes à son mal de vivre, à sa culpabilité de survivant, à son choc post-traumatique. Ni auprès de sa sœur Steph (Dominique Laniel), juvénile et imbibée de culture pop, ni auprès de son psychiatre Gerry (Roger La Rue), personnage égocentrique aux prises avec ses propres démons, non plus qu'auprès de L.J., sa co-accidentée en manque d'amour. Ajoutons à cela le personnage de Karl (Mathieu Quesnel), un béotien d'un crétinisme absolu qui aurait été à sa place comme commentateur pour la défunte chaîne Sun News et de qui Steph s'amourache. L'univers de Débris est compartimenté, et chacune de ses strates procède aveuglément, sans communication possible, donc sans rachat.

Maxime Denommée excelle dans ce genre de rôle : un jeune homme naufragé et sans repères que même l'art ne réussit pas à sauver. On est aussi témoin de ce curieux et improbable rapport qui l'unit à L.J. avec qui il n'a rien en commun, mais de qui il se retrouve très proche à cause de l'accident.

Lui peut articuler quelque peu sa souffrance. «Comment peut-on mesurer la douleur», s'interroge-t-il. «Est-ce que mourir fait mal?», ou encore «Je ne voudrais pas qu'ils m'oublient», tentant de retrouver des moments où il a été heureux, de déceler un sens à tout cela alors qu'il n'y en a pas, de sens. L.J., elle, souffre de façon plus crue, plus animale et Évelyne Rompré rend parfaitement l'avant et l'après de cette jeune femme brisée qui a toujours mal là où ses jambes se trouvaient et qui est incapable de faire face à l'abîme qui constitue dorénavant sa vie.

Tous ces personnages sont en quête de leur propre identité, mais aussi d'une utilité. Steph voudrait avoir sa photo dans le journal, mais sans références à son célèbre frère incassable. Le psy ne se définit plus que par le fait qu'il a aidé sa femme à mourir. Karl insiste sur les objets qu'il répare et qui servent à quelque chose, contrairement aux tableaux de Dany auxquels il ne comprend rien et dont il se moque. L.J. a toujours refoulé ses émotions lorsqu'elle dansait dans les Clubs et se retrouve aux prises avec une marée de sentiments qu'elle ne contrôle pas. Accident ou pas, traumatisés ou non, les personnages de Débris tournent tous en rond dans leur quête désespérée et ne trouvent que des fragments là où ils voudraient l'image complète.

On ne sent pas la traduction de Jean-Marc Dalpé, ce qui est le signe qu'elle est excellente. La mise en scène de Claude Desrosiers nous impose une proximité nous permettant de capter tous les frémissements causés par cette douleur. Et la loupe d'entomologiste d'Ursula Rani Sarma ne donne à aucun moment dans l'esthétisme, ce qui nous permet d'entrevoir ce qui peut constituer l'après pour des survivants de catastrophes, de quelque nature qu'elles soient. Au point qu'on se demande si ce ne sont pas ceux qui ont péri qui ont eu le plus de chance.

Débris : Une production de La Manufacture, à La Licorne jusqu'au 28 mars 2015.

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