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«Coriolan»: un théâtre de haute définition

Cette fastueuse production demeure avant tout très cérébrale, et son extraordinaire esthétisme nous rappelle, froidement, que «Coriolan» est la tragédie du désir inassouvi.
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Cette Rome réunit l'ancien et le moderne, sans qu'il n'y ait de querelle; harmonieusement et avec aplomb. L'humour n'est pas absent non plus.
Courtoisie
Cette Rome réunit l'ancien et le moderne, sans qu'il n'y ait de querelle; harmonieusement et avec aplomb. L'humour n'est pas absent non plus.

Je ne sais pas si c'est à cause des couleurs saturées, de l'aspect cinématographique de la mise en scène ou de la précision folle des changements de décor, mais j'ai vraiment eu l'impression de voir un spectacle sur un écran en haute définition. Ce Coriolan de Shakespeare, mis en scène magistralement par Robert Lepage —et d'abord présenté au Festival de Stratford en Ontario l'été dernier — est un spectacle somptueux comme on en voit peu.

Je m'incline avec respect et admiration devant les concepteurs techniques de cette aventure: Steve Blanchet, Ariane Sauvé, Pedro Pires et Xavier Côté.

Résumons l'intrigue

Caius Marcius, général de l'armée romaine, remporte la victoire contre les Volsques et leur velléité d'envahir Rome. Il prendra le nom de Coriolan, une faveur insigne, après avoir pris la ville de Coriole. Après un accueil triomphal dans Rome, il échoue à se faire élire consul, car il a un sale caractère et n'hésite pas à exprimer son mépris face au peuple. Condamné à l'exil, il s'allie à son meilleur ennemi, Tullus Aufidius, le chef des Volsques. Marchant sur Rome qu'il veut anéantir, il fléchira devant les implorations de sa mère venue le supplier d'épargner sa patrie. Sa fin, comme sa vie, sera violente.

Le nœud de cette histoire réside d'une part dans cette relation fusionnelle entre la mère et le fils, une mère qui a élevé son enfant dans le culte de Rome et de la République et dans une culture du sacrifice héroïque.

Volumnia, et c'est peu dire, vit par procuration à travers les exploits et les hauts faits de ce fils trop chéri. Mais il y a aussi une bonne dose d'homoérotisme dans cette pièce, que la mise en scène met d'ailleurs en exergue. Un homoérotisme dissimulé sous les atours de la camaraderie virile, mais qui colore tous les rapports entre Coriolan et ses compagnons d'armes ou avec son ennemi juré, Aufidius.

Alexandre Goyette possède la carrure, la voix, la présence pour incarner ce Coriolan excessif. Anne-Marie Cadieux, souveraine, hiératique, est la parfaite mère qui aime trop. Et Reda Guerinik, une révélation pour moi, apporte toutes les nuances nécessaires à son rôle de Tullus Aufidius. Widemir Normil est plus que crédible en frère d'armes de Coriolan et Rémi Girard, débonnaire et toujours impeccable, endosse la partition de Menenius Agrippa, père substitut de notre héros aux pieds d'argile. Mais tout le monde est très, très bon, évidemment.

La Rome républicaine de ce Coriolan est faite de colonnes corinthiennes, de bustes d'hommes illustres, de réunions sur le Forum romain, de SPQR et d'une couronne de laurier. Mais les habits sont contemporains, on suit les infos sur la télé dans un bar (on entend même un extrait du hockey sur RDS), les journalistes filment et font des mêlées de presse, il y a des émissions de lignes ouvertes à la radio, on utilise des téléphones cellulaires et deux soldats échangent des textos.

Cette Rome réunit l'ancien et le moderne, sans qu'il n'y ait de querelle; harmonieusement et avec aplomb. L'humour n'est pas absent non plus: les scènes où Coriolan fait du porte-à-porte pour obtenir des votes ou qui se chicane avec sa mère relèvent du plus haut comique. En plus dramatique, il y a également la scène saisissante et d'une extrême beauté où Coriolan quitte Rome en voiture, traversant villes, forêts, paysages, accompagné par la musique envoutante d'Antoine Bédard.

Coriolan est une machine de guerre qui exprime peu ses sentiments. Lorsqu'il cède à sa mère et revient sur sa décision de détruire Rome, il fait preuve ainsi d'une étonnante humanité pour un général patricien aussi éloigné qu'on puisse l'être des intérêts et préoccupations du peuple. Sauf que, et c'est le reproche que je fais à la pièce, ce revirement ne réussit pas à nous émouvoir.

La distance existant entre ce personnage et ses émotions se communique aux spectateurs et si j'ai observé avec beaucoup d'intérêt ce Coriolan plus grand que nature, il ne m'a aucunement touchée.

Cette fastueuse production demeure avant tout très cérébrale, et son extraordinaire esthétisme nous rappelle, froidement, que Coriolan est la tragédie du désir inassouvi.

Coriolan: Une production du Festival de Stratford, d'Ex Machina et du TNM, au Théâtre du Nouveau Monde jusqu'au 17 février.

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