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L'histoire deest passionnante et nous interpelle tous. Non seulement à cause de son histoire, mais aussi de par la façon dont elle est ingénieusement structurée avec des scènes sur film qui s'enchevêtrent harmonieusement aux monologues des comédiens.
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Il y a autant d'émotion que de suspense dans le captivant Comment s'occuper de bébé présenté à la Licorne. Ma complice de ce soir-là et moi avons été rivées à notre siège pendant toute la représentation et sommes sorties avec un seul désir: parler de ce que nous venions de voir.

Je dois dire que j'ai aimé toutes les pièces ce que j'ai vues du dramaturge Dennis Kelly jusqu'à maintenant. C'est Olivier Choinière qui s'est brillamment occupé de la traduction et je ne saurai jamais souligner suffisamment l'importance de faire connaître au public d'ici des auteurs de textes contemporains venus de l'étranger, mais qui résonnent de façon toute particulière auprès de nous. Dennis Kelly est de ceux-là.

L'histoire de Comment s'occuper de bébé est passionnante et nous interpelle tous. Donna est accusée d'avoir tué ses deux enfants. D'abord condamnée par l'opinion publique et par la justice, elle sera éventuellement relâchée suite au témoignage d'un psychologue qui a vu dans son comportement les symptômes d'une forme de maladie mentale. Un dramaturge, un avatar de Dennis Kelly présume-t-on, veut écrire une pièce sur ce fait divers et mène une enquête. Voix désincarnée, il interroge Donna, sa mère qui se révèle une politicienne consommée, le psychologue qui a diagnostiqué Donna et le mari qui, au départ, refuse toute implication dans ce projet. La mise en scène de Sylvain Bélanger fait appel à des segments filmés où différents épisodes du drame sont évoqués et où les témoins et acteurs de la tragédie racontent leur perception de ce qui s'est passé.

Car il s'agit bien là des différents aspects d'une même réalité et le spectateur se retrouve complètement déstabilisé face à cette recherche de la vérité qui se révèle posséder plusieurs facettes. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à L'adversaire d'Emmanuel Carrère qui relate la vie de Jean-Claude Romand, cet homme dont toute la vie a été construite sur des mensonges et qui, ultimement, va tuer ses parents, sa femme, ses enfants et son chien. Tout comme dans Comment s'occuper de bébé, on ne saura jamais les motivations qui ont animé le meurtrier, un homme d'apparence insignifiante, tout comme Donna semble l'être. Et ces propos se révèlent le départ d'une formidable réflexion sur ce qu'est le mal véritable.

Photo: Yanick Macdonald

Évelyne Brochu joue cette Donna et lui confère une fragilité redoutable qui est peut-être aussi sa principale force. Le discours qui est le sien est un mélange fort intéressant d'éloquence et d'hésitations, très bien rendu et absolument convaincant. Tous les acteurs de cette production sont uniformément bons avec cependant une Josée Deschêsnes qui se démarque de façon éclatante avec le rôle de Lynn Barrie, la mère qui voit sa carrière politique au bord de l'effondrement à cause des actions de sa fille. Comment elle va rattraper tout cela est digne de se retrouver dans les papiers de Machiavel. Ce qui n'empêche en rien l'amour véritable qu'elle porte à Donna, illustré par une scène filmée qui a le pouvoir de capturer le spectateur à l'intérieur de ce seul moment, laissant une impression durable.

Dennis Kelly nous questionne sur la façon que nous avons d'adhérer à une perspective par connivence ou par pitié ou alors de la rejeter pour des questions de morale. Le but de la littérature est de transcrire et rapporter une réalité. Oui, mais, dirait Schopenhauer, le monde est une volonté et une représentation. Tout est question d'interprétation, mais la pièce exprime très clairement le fait que le mensonge est à la chose la plus difficile à supporter. Mais voilà, la politique, les médias, nos proches se plaisent constamment à compromettre la vérité.

Comment s'occuper de bébé est fascinant d'un bout à l'autre, non seulement à cause de son histoire, mais aussi de par la façon dont elle est ingénieusement structurée avec des scènes sur film qui s'enchevêtrent harmonieusement aux monologues des comédiens qui viennent à tour de rôle donner leur version des faits. C'est un spectacle riche d'images, de sensations et d'émotions, mais où le pathos est tenu en laisse pour donner comme résultat une somptueuse polyphonie où tout le monde ment. Un peu. Peut-être. Peut-être pas.

Je ne sais pas si Donna a tué ses enfants.

Comment s'occuper de bébé, une production du Théâtre du Grand Jour en collaboration avec La Manufacture, est présenté à La Licorne jusqu'au 22 mars 2014. Et il y aura des supplémentaires.

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