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La cantatrice chauve et La Leçon: classiques

65 ans après leur création,etdéséquilibrent toujours le spectateur avec leur floraison verbale, m'amenant à penser qu'Eugène Ionesco était peut-être débarqué dans notre monde par inadvertance.
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On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

Lors de mon premier voyage à Paris, pèlerinage littéraire oblige, j'étais allée voir La cantatrice chauve et La Leçon au Théâtre de la Huchette. Cela allait de soi, tout comme me promener Quai Voltaire où a vécu Montherlant, ainsi que Bob Morane. (Vous pouvez le constater, mes goûts sont éclectiques). En ce qui a trait à Ionesco, avec bientôt quelque dix-huit-mille représentations dans ce petit théâtre parisien, on peut parler ici de pérennité culturelle. Et pour ma génération, on a tous vu La cantatrice chauve et La Leçon ou alors on a joué dedans ou participé d'une manière ou d'une autre à une production scolaire de ces deux pièces.

Le Théâtre des Fonds de Tiroirs nous propose donc de revisiter ces deux textes dans une mise en scène de Frédéric Dubois. Mise en scène très stylisée dans une scénographie épurée qui sert très bien les propos déjantés de Ionesco qui, frappés par la banalité des dialogues d'une méthode pour apprendre l'anglais très populaire en France après la guerre, s'est servi de ces phases sans contexte et sans aucune prise sur la réalité pour écrire La cantatrice chauve. Qui se coiffe toujours de la même façon, apprend-on dans la seule phrase du texte où on y fait allusion. J'ai trouvé très rassurant de constater que les Smith et les Martin profèrent toujours les mêmes inanités avec la même conviction, que Bobbi Watson est toujours le plus joli cadavre de Grande-Bretagne, que tout le monde dans sa famille porte ce nom de Bobbi Watson et que la bonne des Smith est toujours d'une irrésistible drôlerie. Il y a aussi ce capitaine des pompiers, spécialiste des lieux communs et des clichés qui fume comme une cheminée et qui raconte avec des effets dramatiques disproportionnés frôlant l'apocalypse comment il a vu un homme rattacher son lacet sur les grands boulevards. Les cinq comédiens qui nous livrent ce délire sont exquis : extravagants comme il se doit, rendant le fourmillement chaotique de ce texte sans queue ni tête, mais toujours très drôle. C'est du bel ouvrage.

Pour La leçon, les comédiens qui joueront les trois personnages sont tirés au sort par un membre du public avant l'entracte. Ce qui donnera un homme pour jouer la bonne. Il y a beaucoup de bonnes dans ce théâtre... Résultat donc, des plus amusants, même si La leçon présente un côté franchement dramatique : cette jeune fille, habillée comme Bécassine, qui veut préparer le Doctorat total (!) avec ce professeur fou à lier et ultimement assassin qui lui enseigne les choses les plus élémentaires qu'elle ne comprend d'ailleurs pas très bien. Et comme l'entrevoit la bonne, la philologie mène au pire. Ici, c'est la perception du monde qui est faussée et qui déclenche des mécanismes menant à une violence incontrôlable. Des thèmes chers à Ionesco et qu'on retrouve dans ses autres pièces : le monde est à la fois transparent et opaque, le langage un bien pauvre instrument trahissant la pensée.

Ce fut un plaisir que de revoir cela et le jeune public de ce soir de première a semblé beaucoup apprécier. Comme initiation au théâtre, je crois que Ionesco est un must, c'est le Magritte du monde théâtral. Sa façon d'appréhender l'univers se rapproche de celle des enfants, avec ses phrases sans queue ni tête, sa logique détournée et ses personnages de bande dessinée. 65 ans après leur création, La cantatrice chauve et La leçon déséquilibrent toujours le spectateur avec leur floraison verbale, m'amenant à penser qu'Eugène Ionesco, à cause de ce regard unique qui était le sien, était peut-être débarqué dans notre monde par inadvertance.

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