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«Bonne retraite, Jocelyne»: attentes déçues

Il manque à cette pièce un fil conducteur puissant qui éviterait l'éparpillement.
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Avec Bonne retraite, Jocelyne, on retrouve le don d'observation à nul autre pareil, mais il y manque du polissage et du fignolage pour faire passer de l'électricité dans le contenu émotionnel, pour pulvériser complètement notre foi dans la nature humaine, pour nous faire toucher le fond afin que nous puissions remonter.
Suzanne O'Neill
Avec Bonne retraite, Jocelyne, on retrouve le don d'observation à nul autre pareil, mais il y manque du polissage et du fignolage pour faire passer de l'électricité dans le contenu émotionnel, pour pulvériser complètement notre foi dans la nature humaine, pour nous faire toucher le fond afin que nous puissions remonter.

Au cours des deux ou trois dernières années, je me disais qu'il était bien dommage que Fabien Cloutier n'écrive pas pour le théâtre. Je vois ce diable d'homme partout à la télé, je l'entends à la radio et regrettais de ne pas avoir de texte du calibre de Billy (Les jours de hurlement) ou Pour réussir un poulet à me mettre sous la dent. J'étais sortie de ces pièces sonnée et j'y repense encore. C'est donc après une longue attente et des frétillements de bonheur que je me suis pointée à La Licorne pour Bonne retraite, Jocelyne. Mais je fus déçue.

Mentionnons tout d'abord que tous les comédiens sont excellents dans cette distribution impeccable. Ils sont neuf sur scène et, avec un texte aussi décousu où n'importe qui dit n'importe quoi de pas rapport, je m'incline devant le travail titanesque qu'ils ont effectué. Josée Deschênes est une parfaite Jocelyne, fonctionnaire depuis 30 ans qui décide de prendre sa retraite et qui réunit toute sa famille pour leur annoncer la nouvelle.

Sa sœur Brigitte (Brigitte Poupart), mariée à Jean (Claude Despins) est obsédée par l'argent et jalouse de Jocelyne, qui a eu plus de chance professionnellement; son frère Justin (Éric Leblanc, sous-utilisé) et sa femme Jeanne (Sophie Dion, extraordinaire en nounoune de service) en arrachent financièrement. Ils ont un fils, Keven (Vincent Roy, candide et touchant) affligé d'un retard intellectuel qui fait le ménage au zoo pour gagner sa vie. Paul (Jean-Guy Bouchard) est l'autre frère de Jocelyne au sujet duquel on se demande s'il n'a pas, lui aussi, des problèmes de quotient et dont la conversation se résume à une enfilade de lieux communs et de clichés. Finalement, il y a les deux filles de Jocelyne, Ève (Lauren Hartley) et Viviane (Lauriane S. Thibodeau).

Personne n'écoute personne, tout le monde dit n'importe quoi en le criant préférablement, ce qui fait, d'ailleurs, qu'on perd des répliques.

Tous ces personnages sont très typés: la bitch, la niaiseuse, le bon gars, le mononcle épais, la fille égoïste... La pièce s'amorce avec un jeu de charades débiles et se poursuit avec une discussion échevelée sur les autistes, les Aspergers et les TDAH, remplis de coqs à l'âne, de commentaires niais et de réflexions d'une stupidité colossale. Personne n'écoute personne, tout le monde dit n'importe quoi en le criant préférablement, ce qui fait, d'ailleurs, qu'on perd des répliques. Jusqu'au moment où les reproches commenceront à fuser et où les cadavres d'événements pas très jolis seront déterrés.

Les personnages, sauf peut-être Jocelyne et ses filles qui semblent relativement saines d'esprit, ont tous quelque chose qui cloche dans le cabochon.

On se rend bien compte au fur et à mesure que les autistes, Aspergers et TDAH ne se retrouvent pas seulement dans la conversation. Les personnages, sauf peut-être Jocelyne et ses filles qui semblent relativement saines d'esprit, ont tous quelque chose qui cloche dans le cabochon. Mais je ne suis pas sûre que c'est vraiment de cela que Fabien Cloutier veut traiter, de cette famille dysfonctionnelle touchée à divers degrés par la maladie mentale, car il rempile un paquet d'autres sujets censés, je présume, illustrer son propos. En résulte un fouillis où une chatte ne retrouverait pas ses petits.

Il y a tout de même quelques répliques qui font mouche, où on dit beaucoup avec peu de mots et où on s'esclaffe tout en riant jaune.

Il y a aussi le décor que je n'ai pas compris. Cela se passe, je crois bien, dans la cour arrière de la maison de Jocelyne, alors pourquoi ces palmiers? Mmmmm?

théâtre
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Il y a tout de même quelques répliques qui font mouche, où on dit beaucoup avec peu de mots et où on s'esclaffe tout en riant jaune. Mais il manque à cette pièce un fil conducteur puissant qui éviterait l'éparpillement.

L'œuvre de Fabien Cloutier est au théâtre ce que la scène de genre est à l'art: des sujets anecdotiques ou familiers dans lesquels le public se retrouve, mais avec cette dimension qui fait de ces personnages des prolétaires ou des bourgeois qui se retrouvent soudainement égarés dans une tragédie de Shakespeare.

Il avait réussi ça très bien dans les précédents textes. Avec Bonne retraite, Jocelyne, on retrouve le don d'observation sans pareil, mais il y manque du polissage et du fignolage pour faire passer de l'électricité dans le contenu émotionnel, pour pulvériser complètement notre foi dans la nature humaine, pour nous faire toucher le fond afin que nous puissions remonter.

Théâtre
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Bonne retraite, Jocelyne: une production de La manufacture en collaboration avec le Théâtre du Trident et le Théâtre Français du Centre National des Arts, à La Licorne jusqu'au 10 novembre 2018, avec des supplémentaires du 4 au 15 juin 2019.

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