Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

As is (Tel quel): un magnifique fouillis

La métaphore du compacteur est puissante dansde Simon Boudreault, la mécanique sans appel qui broie les objets et qui s'établit en parallèle avec le lieu de travail de ces êtres poqués dont on suit avec ferveur les destins contrariés.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

La métaphore du compacteur est puissante dans As is (Tel quel) de Simon Boudreault, la mécanique sans appel qui broie les objets et qui s'établit en parallèle avec le lieu de travail de ces êtres poqués dont on suit avec ferveur les destins contrariés.

C'est un très bon texte que Simon Boudreault, qui est aussi à la mise en scène, nous offre : structure impeccable, montée dramatique, personnages attachants font en sorte que As is explore avec fécondité sous nos yeux et de façon extraordinairement habile un univers où s'oppose deux visions. Celle de Tony, ancien danseur au 281 et patron d'un centre de tri de l'organisme L'Armée du rachat qui ramasse tous les vêtements, électro-ménagers et objets divers dont nous ne voulons plus dans notre désir de consommation effrénée où tout est jetable et celle de Saturnin, étudiant en philosophie politique qui ne détient aucune compétence particulière mais qui a lu Madame Bovary au complet et qui sera embauché pour l'été pour trier des cossins dans le sous-sol du magasin où on les revend. Ce qui veut dire, à la stupéfaction des spectateurs, un amas de choses hétéroclites, un improbable échafaudage d'objets divers, du frigo à la casserole, en passant par les lampes, les vieux toutous, les livres, tout ce que vous avez déjà envoyé à un organisme de charité parce que vous n'en vouliez plus mais qui pourrait toujours servir. L'effet est saisissant, croyez-moi.

Crédit photo : Valérie Remise

Simon, l'idéaliste, le théoricien, celui qui pose un regard d'intellectuel sur tout, va singulièrement bouleverser cet univers clos où ses collègues qui travaillent pour un organisme de bienfaisance, se débattent pour survivre avec un salaire de misère et sont les derniers à croire à la générosité, à l'altruisme et à la gentillesse. On a là une belle contradiction formidablement bien exploitée tout au long de la pièce et desservie par un texte coloré rempli d'images hilarantes et rendu par d'excellents comédiens impeccablement dirigés. Jean-François Pronovost incarne un Saturnin candide mais juste assez lucide pour voir par-delà les manigances de Tony. Ce Tony c'est Denis Bernard en boss huileux, manipulateur, méprisant qui nous faire prendre conscience qu'il n'y a pas de pénurie de crétins cruels en ce bas monde. Bernard est renversant dans ce rôle de patron odieux. Patrice Bélanger, que j'aimerais voir plus souvent au théâtre, est exquis dans le personnage de Pénis, un garçon un peu nono, l'idiot du village, mais surtout le souffre-douleur de Tony. Félix Beaulieu-Duchesneau qui me rappelle un Plume Latraverse en plus jeune, est le Gros Richard (qui n'est pas gros d'ailleurs), toxicomane, fabulateur, menteur à l'âme brisée qui ne comprend rien mais qui au fond comprend tout.

Les personnages féminins ne sont pas en reste, Marie Michaud joue le rôle de Suzanne qui travaille pour l'Armée du Rachat depuis 37 ans et qui est la mère, plutôt découragée, de Pénis. Catherine Ruel incarne une Jojo démunie au-delà des mots, une femme qui n'a jamais entendu parler de contraception et pour qui l'avenir n'est qu'une abstraction. Et finalement Geneviève Alarie, l'ancienne pute, est certainement le personnage le plus touchant et le plus attachant dans sa maladroite quête d'affection. La chanson qu'elle entonne dans la pièce est celle qui est venue le plus me chercher.

Car il y a de la musique et des chansons, très bien intégrés dans ce magnifique fouillis où l'humanité tente de se faire une place face à cet ahurissant amas de déchets. Et si le discours est parfois désabusé il est aussi passionné et généreux. Et on comprend que le rachat de ces personnages ne passe certainement pas par l'armée du même nom.

Ça ne finit pas bien, cette histoire. Saturnin, croyant bien faire, va tout gâcher et rendre encore plus glauques les destins déjà sérieusement compromis de ses collègues d'un été. Mais Simon Boudreault, avec As is nous dessine des arabesques surprenantes, des labyrinthes, des carrefours et oui, aussi, des culs-de-sac. Ça s'appelle le talent et, croyez-moi, ça donne du maudit bon théâtre.

As is (Tel quel), une production de Simoniaques Théâtre et du Théâtre d'Aujourd'hui, est présenté au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 5 avril 2014.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Avril 2018

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.