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«21» de Rachel Graton: la pièce à voir ce printemps

Le texte est riche et profond et laisse en mémoire une brûlure au fer rouge.
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J'ai rarement été aussi bouleversée par une pièce de théâtre. Je parle ici de pureté et de quasi perfection dans la structure, la composition des personnages, l'exploration de leur psyché et le rendu de tout cela dans cette mise en scène à la fois rigoureuse et sensible et dans le jeu fabuleux des deux comédiennes.
Philippe Latour
J'ai rarement été aussi bouleversée par une pièce de théâtre. Je parle ici de pureté et de quasi perfection dans la structure, la composition des personnages, l'exploration de leur psyché et le rendu de tout cela dans cette mise en scène à la fois rigoureuse et sensible et dans le jeu fabuleux des deux comédiennes.

Au début de 21, la plus récente pièce de Rachel Graton présentée au Théâtre d'Aujourd'hui, Sarah, intervenante dans un Centre Jeunesse, nous parle du café froid et dégueu qu'elle boit chaque matin dans sa voiture, de collègues de travail qu'elle ne veut pas côtoyer à la cafétéria et des soirées qu'elle passe dans des bars à boire des shooters de Jameson en cherchant un hypothétique amour.

Elle débute un cycle de 12 semaines avec Zoé, 15 ans, habillée du typique hoodie, au regard hanté, à la mâchoire carrée, qui manie le ballon de basket avec une grâce certaine, mais aussi beaucoup d'agressivité. C'est à ce huis clos criant de vérité que nous assisterons. Je vous préviens, on n'en sort pas indemne.

Sarah et Zoé ont des points communs: les deux sont blessées, les deux ressentent de la colère et une immense frustration. La différence c'est que Sarah, à 40 ans, a appris à manier les outils pour que ça ne paraisse pas trop et pour fonctionner relativement bien en oubliant ses problèmes lorsqu'elle se met au service des autres. Contrairement à Zoé, elle ne pète pas de coche, n'insulte pas les gens qui l'entourent (sauf intérieurement), ne se livre pas à des éclats de violence physique ou verbale. Mais ceux qui sauvent ont aussi parfois besoin d'être rescapés.

Le résultat est incroyable: d'une justesse inouïe, cette pièce est dure et émouvante, remplie de tristesse et parfois follement drôle, c'est rythmé, rempli de moments forts, de vérités assourdissantes, de laideur, de beauté et de bonté.

Alexia Bürger est à la barre de ce spectacle et l'on reconnaît sa touche: une scénographie dépouillée avec comme seuls accessoires ces ballons de basket, un espace limité aux couleurs neutres où les comédiennes s'investissent entièrement. Ce minimalisme sied parfaitement à ce texte étoffé où rien ne devrait nous distraire du propos. Les éclairages de Renaud Pettigrew se font l'allié de la mise en scène et de la parole, ils viennent griffer la scène pour en faire jaillir des étincelles.

Marine Johnson est Zoé. Elle est vraiment Zoé, cette petite fille de 15 ans qui se retrouve dans un Centre Jeunesse après avoir fait plusieurs conneries qui l'ont mise en danger. Avec son lourd silence d'abord, sa terrible colère ensuite, on se doute bien que son intervenante ne l'aura pas facile. Une conquérante sans territoires à envahir et qui a besoin, pour les trouver, d'une conseillère éclairée; elle ne sait pas qu'elle a le goût de vivre et aussi d'aimer malgré le mur de peine qui l'entoure. Sa hantise du rejet la laisse dans un brouillard escamotant tout et nous savons ses blessures profondes et peut-être sans remède. Marine Johnson est sidérante dans ce rôle.

Je n'ai jamais vu au théâtre un tel investissement de la part d'une comédienne aussi jeune dans un rôle aussi difficile et exigeant.

Devant elle, Isabelle Roy (l'inoubliable Narwal d'Incendies) qui joue l'intervenante Sarah, un personnage amoché aussi, mais avec un feu en elle, qui se met au service de la douleur et qui trouve (peut-être) un apaisement à la fin. Cet apaisement a cependant un prix très élevé et nous le ressentirons avec beaucoup d'émotion. Elle prend une décision qui va changer sa vie, mais qui va aussi remettre en question tout le travail accompli auprès de Zoé au cours des mois qui ont précédé.

Le texte de Rachel Graton est riche et profond et laisse en mémoire une brûlure au fer rouge. J'ai rarement été aussi bouleversée par une pièce de théâtre. Je parle ici de pureté et de quasi-perfection dans la structure, la composition des personnages, l'exploration de leur psyché et le rendu de tout cela dans cette mise en scène à la fois rigoureuse et sensible et dans le jeu fabuleux des deux comédiennes. Il faut se précipiter pour voir cela: Rachel Graton raconte des histoires comme personne d'autre. Je l'en remercie et m'incline devant tant de talent.

21: au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 4 mai 2019. Et il y a des supplémentaires.

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