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Le cirque catalan en tournée

La fugue de l'ex-président catalan, sagement orchestrée, en a laissé plus d'un perplexe, surtout parmi ceux qui avaient sincèrement cru à l'indépendance.
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Pascal Rossignol / Reuters

Le 31 octobre, un article paraissait au journal Politico dont le titre était fort évocateur: «Le cirque catalan de Puigdemont arrive à Bruxelles». Difficile, en effet, de continuer à prendre la stratégie sécessionniste au sérieux. La fugue de l'ex-président catalan, sagement orchestrée, en a laissé plus d'un perplexe, surtout parmi ceux qui avaient sincèrement cru à l'indépendance.

Au plat pays : la fugue de Puigdemont

L'ironie a rejoint le mauvais goût : celui-là même qui, après maintes tergiversations, aurait enfin eu le « courage » de déclarer unilatéralement l'indépendance (à l'issue d'un vote à bulletins secrets et sans débat parlementaire), quitte aussitôt sa nouvelle République, qui n'a existé qu'en tant que fiction —rêvée ou cauchemardesque, c'est selon.

Kris Peeters, vice-premier ministre belge, l'a très bien formulé : « Quand on appelle à l'indépendance, on reste près de son peuple. » Malgré les tentatives de justifier sa fuite, en prétextant l'« internationalisation » de l'indépendantisme catalan —en manque d'appuis—, nombreux sont ceux qui y ont vu un acte de lâcheté et d'irresponsabilité politique.

Accueilli par Theo Francken, un nationaliste flamand ultra-conservateur, Puigdemont est allé en Belgique afin d'y chercher conseil juridique. Auprès de qui ? Paul Bekaert, un juriste ayant déjà défendu des membres de l'organisation terroriste ETA. Rappelons que c'est au nom du nationalisme basque qu'ETA a laissé derrière elle environ 850 victimes mortelles. Née vers la fin du franquisme, la première victime mortelle d'ETA remonte à 1968 (sept ans avant la mort de Franco) et la dernière, quant à elle, à 2011. 95% de leurs assassinats ont été commis en démocratie, dont 37% lors de la critique période de transition (1978-1981).

Qu'un juriste ayant défendu des membres d'ETA se présente lui-même comme un « spécialiste des droits humains » et des « minorités » est déjà suspect. Que des discours d'un simplisme ahurissant —que l'on retrouve pourtant chez nos universitaires— cherchent à rendre le cas catalan comparable aux cas palestinien ou kurde en est honteux. Que l'on accuse l'Espagne contemporaine de franquisme (ou néo-franquisme) frôle, comme le rappelait Marie Bernard-Meunier (ancienne ambassadrice du Canada à l'UNESCO), l'« insulte aux vraies victimes du vrai fascisme. » Que, enfin, celui-là même qui n'a de cesse de répéter que l'État espagnol est violent en vienne à s'associer à un avocat qui a défendu ETA, dont la violence meurtrière était le moyen de pression privilégié, cela relève simplement du grotesque.

La prophétie autoréalisatrice

Cela s'inscrit pourtant au sein d'une stratégie médiatique bien précise de l'ex-Govern et des organismes de promotion de l'indépendance : d'une part, celle de présenter les Catalans comme les éternelles victimes des Espagnols et, d'autre part, celle de prétendre que les démarches de l'ex-Govern s'accorderaient parfaitement avec les aspirations des Catalans. Et ce, même si 52,2% des électeurs catalans ont, lors des dernières élections, préféré des partis «unionistes». Ne serait-ce que pour cette raison, l'homogénéisation discursive du « peuple catalan » est fort troublante, car elle laisse de côté au moins la moitié des Catalans qui, élection après élection, sondage après sondage, continue de s'opposer au projet sécessionniste.

Le 10 octobre, jour où Puigdemont a déclaré et suspendu l'indépendance à la fois, il y avait eu des raisons d'espérer qu'un dialogue serait possible.

Le 10 octobre, jour où Puigdemont a déclaré et suspendu l'indépendance à la fois, il y avait eu des raisons d'espérer qu'un dialogue serait possible. Et le gouvernement espagnol avait bel et bien laissé une voie de dialogue ouverte, c'est pourquoi il a demandé des clarifications quant à la nature de cette déclaration. Mieux : avant même d'avoir la réponse de Puigdemont, Rajoy était parvenu à une entente avec le PSOE visant à mettre sur la table une réforme de la Constitution. Madrid a aussi, cela va de soi, exigé du Govern qu'il revienne à la légalité.

Or, prétextant que l'application de l'article 155 ne lui offrait pas assez de garanties, Puigdemont a refusé de dialoguer —on pourrait se demander quelles garanties l'ex-Govern pouvait bien offrir de son côté, alors qu'il fait allègrement abstraction des lois catalanes et espagnoles quand cela l'avantage. Puigdemont a également refusé de convoquer lui-même des élections régionales, ce dont le Parlement catalan avait pourtant l'entière prérogative. À la place, il a préféré procéder à une nouvelle déclaration d'indépendance, dans le but évident de forcer Madrid d'appliquer l'article 155, c'est-à-dire dans le but de suspendre l'autonomie de la Catalogne. La conséquence ? C'est désormais Madrid, plutôt que Barcelone, qui convoque les élections. Pour ceux qui affirment que ce sont « des élections contrôlées par Madrid », il faut leur rétorquer qu'elles auraient pu très bien être contrôlées par Barcelone. Seulement, les ex-dirigeants catalans n'ont pas voulu le faire.

L'intransigeance de l'ex-Govern à ce moment critique serait-elle l'ultime responsable de la perte d'autonomie institutionnelle dont la Catalogne jouissait depuis 40 ans ? L'ex-Govern ne pouvait en tout cas pas plaider l'ignorance : une déclaration unilatérale d'indépendance (DUI) enclencherait automatiquement la mise en oeuvre du 155. Et ils en étaient bien conscients.

N'est-il pas fort surprenant de donner à Madrid tous les motifs permettant de justifier constitutionnellement la suspension de l'autonomie régionale ? Le hic, c'est que, du point de vue du pur calcul politique, l'application du 155 profite aux sécessionnistes, de l'aveu même de l'un des ex-parlementaires d'ERC. De fait, cette mise sous tutelle renforce le récit « victimiste » mis de l'avant par les indépendantistes, au point de créer de toutes pièces l'Espagne arriérée et autoritaire qu'ils présentent depuis des années. La reproduction de ce portrait dans certains médias étrangers est d'ailleurs embarrassante.

Les victimes retrouvées

La fugue de Puigdemont, son mandat d'arrêt européen et l'emprisonnement d'Oriol Junqueras et certains des ex-conseillers renforcent cette image que l'indépendantisme veut donner de l'Espagne. L'emprisonnement préventif peut sembler excessif. Or, si Puigdemont n'avait pas créé un précédent en fuyant la justice, il est fort possible que Junqueras et les ex-conseillers aient été mis sous garde à vue plutôt que d'être emprisonnés. En effet, la juge a justifié leur détention préventive en appelant au risque de fugue et à la possible destruction des preuves.

Dans ce contexte, il convient de préciser que les accusations ne visent ni leurs opinions politiques ni leur nationalisme. Voilà des années qu'ils en font activement et librement la promotion et voilà des années, aussi, qu'ils se présentent aux élections ; et ce, quand bien même leurs propos ont à l'occasion frôlé la xénophobie —en 2008, nul autre que Junqueras signait un article affirmant notamment que « les Catalans sont plus proches génétiquement des Français que des Espagnols » (!!). C'est dire à quel point ils ont été libres d'exprimer leurs idées, même les plus rocambolesques. Qui plus est, la promotion des idées indépendantistes est financée avec des fonds publics. Le lexique de la persécution politique est donc déplacé et exagéré.

Les plus hauts représentants de l'État espagnol en Catalogne seraient-ils du coup au-dessus des lois ?

En effet, ils sont jugés, car ils seraient continuellement et systématiquement allés à l'encontre des décisions du Tribunal constitutionnel. Malgré les critiques que l'on pourrait adresser au système judiciaire espagnol, il ne faut surtout pas banaliser la manière dont les membres de l'ex-Govern ont depuis des mois ouvertement défié la loi (catalane et espagnole). Ce sera donc à la juge de déterminer le rôle de chacun des membres de l'ex-Govern dans cet affront systématique à la justice. Pourquoi ne le ferait-elle pas ? Les plus hauts représentants de l'État espagnol en Catalogne seraient-ils du coup au-dessus des lois ?

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