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Tout le Vénézuéla ne pleure pas la mort d'Hugo Chavez

Je comprends et je respecte le sentiment de douleur causé par le départ de celui qui fut président du Vénézuéla pendant les quatorze dernières années. Je respecte, et je suis émue, lorsque je lis la douleur de mes amis. Mais je ne peux pas m'empêcher de raconter et d'expliquer, au moins à ceux qui habitent ces latitudes, pourquoi tout le Vénézuéla ne pleure pas la mort de Chavez.
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Belarusian officer carries flowers by posters of the late Venezuelan President Hugo Chavez outside Venezuela's embassy in Minsk, Belarus, Thursday, March 7, 2013. Chavez died Wednesday after a long bout with cancer. He was 58. (AP Photo/Sergei Grits)
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Belarusian officer carries flowers by posters of the late Venezuelan President Hugo Chavez outside Venezuela's embassy in Minsk, Belarus, Thursday, March 7, 2013. Chavez died Wednesday after a long bout with cancer. He was 58. (AP Photo/Sergei Grits)

Dans les rues de la Belle Province, il n'est pas rare de rencontrer des admirateurs d'Hugo Chavez. «C'est un vrai révolutionnaire», «il a pris aux riches pour donner aux pauvres»: ce sont quelques-unes des phrases répétées en écho par certains résidents du Québec. Un Québec qui demande souvent de la justice sociale dans ses rues, qui voit l'argent comme un élément nécessaire, mais non pas comme le but ultime et unique dans la vie, et, bien sûr, un Québec dont le système social aux allures capitalistes est l'un des plus réussis au monde.

Les opinions favorables à Chavez sont aussi courantes chez les latinos qui expriment leur intérêt pour ce leader qui a «fait la guerre à l'impérialisme», qu'on appelle el Comandante. Il est difficile, même, de rencontrer quelqu'un qui ait une vision complètement négative (ou radicale, heureusement) vis-à-vis des politiques de la «révolution bolivarienne». Les plus équilibrés parleront de la manière dont «il a aidé les pauvres» et c'est ainsi que le débat commence.

Le billet de María Gabriela Aguzzi se poursuit après la galerie

Je ne critiquerai pas leur pensée en me servant de la posture facile: «Je suis Vénézuélienne, je sais de quoi je parle». Je ne vais pas essayer non plus d'évangéliser ces gens en leur disant que la seule et unique vérité, c'est celle des opposants au régime de Chavez. Cependant, il y a des faits que peu de gens semblent connaître, et qu'il serait utile, peut-être, de mettre sur la table.

Le discours contre «l'empire»

Les États-Unis, ce pays dont certains leaders «sentent le soufre», continuent à être le principal partenaire commercial du Vénézuéla. Les États-Unis demeurent essentiels pour la vente du pétrole, source de revenus de l'économie rentière qui a été approfondie pendant ces temps «révolutionnaires». Si vous désirez voir des chiffres, vous pouvez regarder cette infographie du journal El Mundo Economía y Negocios pour une mise en contexte. Bien que le gouvernement bolivarien ait essayé de changer ce portrait commercial ces dernières années, la réalité s'impose et le message anti-impérialiste demeure un simple discours.

L'idéal du «Robin des bois» et les marchés

Sous le régime d'Hugo Chavez, le Vénézuéla a vécu (et vit encore) la «transition au socialisme ». Cette période restera sur le papier, avec deux plans socialistes pour la nation. Un de ces deux plans est déjà terminé et le deuxième est en cours. Le premier plan a établi comme priorité une réduction de la place occupée par le secteur privé, ainsi que la nationalisation des secteurs considérés comme stratégiques, afin de protéger le pays de l'égoïsme de la bourgeoisie.

Entre 2005 et 2011, le gouvernement a réussi à exproprier 1 167 entreprises (CEDICE). Parmi celles-ci, on retrouvait de grandes usines industrielles, de petits locaux commerciaux, des usines d'aliments, de ciment et de papier, des terrains, des fermes et même des banques. La conséquence? Beaucoup d'inefficacité. Peu d'entreprises qui se retrouvent dans les mains de l'État ont été en mesure de garder le niveau de production qu'elles avaient avant d'être expropriées.

Il faut rappeler aussi que le contrôle des prix mis en place a principalement touché les biens de consommation essentiels. Évidemment, ce sont les citoyens, riches et pauvres, qui doivent en supporter les conséquences. Les pauvres étant plus vulnérables, ils subissent un impact élargi de cette problématique.

En ce moment, au Vénézuéla, trouver des aliments de base peut devenir un véritable cauchemar. Puisqu'il n'y a pas de produit plus cher que celui qui ne se trouve pas, lorsque vous trouvez celui dont vous avez besoin, vous payez beaucoup plus cher (et ce, malgré le contrôle de prix). Le gouvernement a effectivement activé un réseau de vente d'aliments à prix réduit (vous avez peut-être entendu parler de Mercal o Pdval). Mais ces réseaux-là font face aux mêmes pénuries qui affectent le pays dans son ensemble. Dans le meilleur des cas, lorsque des produits sont disponibles, les consommateurs doivent faire de longues files afin de pouvoir les acheter. Qualité de vie pour les pauvres? Ça ne semble pas être le cas.

Il faut également mentionner que, parmi les expropriations réalisées par le gouvernement révolutionnaire, seulement une partie a été indemnisée tel que prévu par la loi. On estime que le gouvernent doit environ 22 500 millions $ aux entrepreneurs expropriés, selon les chiffres de l'an dernier (Ecoanalítica). Cependant, le gouvernement s'est bien assuré de garder une bonne image à l'extérieur. Il réagit vite lorsque ses politiques affectent le capital étranger. Pendant ce temps, un grand nombre de Vénézuéliens attend encore leur indemnisation. Un grand sens patriotique? Je ne crois pas.

La réduction de la pauvreté

Ce sujet a déjà été étudié et affirmé par des organismes internationaux. En 2010, le Vénézuéla était le troisième pays d'Amérique latine avec le plus faible taux de pauvreté (Cepal). Entre 2002 et 2010, le taux de pauvreté est passé de 48,6 % à 27,8 %, tandis que le taux de pauvreté extrême a également baissé, passant de 22,2 % à 10,7 %. Vous penserez que la réduction de la pauvreté est une réalité logique lorsqu'on considère que le Vénézuéla a un taux de chômage de seulement 6,4% (plus bas que celui du Canada).

Ces chiffres peuvent être expliqués, seulement en partie, par la mise en place de certains programmes et des avantages sociaux qui donnent de l'argent directement aux membres des groupes les plus défavorisés. Mais alors, seriez-vous surpris si je vous disais qu'afin d'accéder à la plupart de ces programmes, vous devez être «mariés» avec la révolution? Pensez-vous que c'est le scénario le plus convenable pour un pays? Croyez-vous qu'il s'agit une stratégie durable?

Si on revient au premier point, sur l'économie rentière et la haute dépendance au pétrole, on peut réaliser que ce modèle n'est pas durable. Il est clair que pendant les années à venir, on peut s'attendre à avoir un prix du pétrole assez haut. Mais lorsqu'une partie du peuple vit seulement des programmes, sans rien produire, il est impossible d'accomplir les rêves promis par la révolution. À moins que le plan soit d'atteindre l'égalité dans la pauvreté. Il reste à voir ce qu'il arrivera dans cette ère post-Chavez.

Concernant le faible taux de chômage, j'ai deux choses à mentionner. Premièrement, les définitions d'emploi utilisées par l'organisme officiel (INE) sont de qualité douteuse. Est-ce que les gens qui travaillent une heure par semaine devraient être inclus? De plus, comment peut-on avoir des données précises lorsque 50 % de la main-d'œuvre se retrouve dans le secteur informel?

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Le système de santé

Au Vénézuéla, on a activé un réseau d'assistance médicale de base avec l'appui des médecins cubains. Le service général est acceptable, mais il est loin d'être un service de qualité, et encore moins de la qualité que devrait avoir un pays qui a obtenu un nombre de revenus record grâce au prix élevé du pétrole. Oui, la mission Barrio Adentro a sauvé beaucoup de vies, mais beaucoup d'autres ont été perdues dans de nombreux hôpitaux du pays. Le péché? Ne pas être capable de payer ou de trouver les matériels nécessaires pour une opération. Ou encore, ne pas trouver un centre médical qui reçoit les blessés par balle, puisque le personnel craint pour sa vie et sa sécurité. (Pas fou, lorsqu'on apprend que Caracas se classe à la troisième place des villes les plus dangereuses au monde).

La sécurité des citoyens

Il s'agit d'une réalité à laquelle j'ai fait allusion dans mon précédent paragraphe. Au Vénézuéla, les riches et les pauvres sont victimes de violence. C'est un pays où il est possible de se faire tuer pour se faire voler une voiture, un téléphone cellulaire ou parce que vous avez mal réagi lors d'un conflit. L'insécurité au Vénézuéla est de longue date, certainement. Lorsque j'étais jeune (dans les années 80) je me rappelle que mes frères décidaient de ne pas porter certains souliers de marque, par peur de se faire attaquer. Dans les nouvelles, j'écoutais souvent les reportages des jeunes assassinés précisément parce qu'ils portaient des souliers de marque. Dans les quartiers défavorisés, l'insécurité a toujours été un problème récurrent. Mais les statistiques sur ce point sont très défavorables pour le gouvernement révolutionnaire, puisque le problème est largement répandu.

Au Vénézuéla, un homme, une femme ou un enfant est assassiné à chaque demi-heure. Le phénomène de l'express kidnapping est bien populaire dans les principales villes du pays. Les citoyens, toujours innovateurs, élaborent de stratégies pour ne pas prendre de risques, ou du moins pour les minimiser.

En 2012, il y a eu pas moins de 21 000 homicides au pays. On estime que depuis 1999, il y en a eu 157 808. Certes, l'insécurité au Vénézuéla est un problème structurel. Mais si lorsqu'on est en révolution, on ne fait rien pour régler le problème, quand est-ce qu'on le fera?

D'autres «petites» raisons

- Le Vénézuéla a un des taux d'inflation les plus élevés au monde. Depuis huit ans, la promesse bolivarienne était de ramener l'inflation à un chiffre unique. Cela n'est demeuré qu'une promesse, rien de plus. En 2012, on a fini l'année avec un taux de 20.1%.

- Le Vénézuéla est parmi les pays les moins compétitifs au monde. Il se retrouve dans les rangs de nations comme le Népal, le Mali, le Pakistan ou le Kirghizistan.

- La dette extérieure du Vénézuéla vient d'atteindre un nombre record: 105 779 millions. Rappelons-nous que le prix du baril de pétrole se situe au-dessus de 100.

- Au Vénézuéla il existe un régime de contrôle de change, imposé en 2003 par le gouvernement de Chavez. Les citoyens ont vécu les conséquences de plusieurs dévaluations tout au long du processus bolivarien. Ces dévaluations représentent de dures baisses du pouvoir d'achat pour tous les Vénézuéliens. Si vous voulez plus d'information sur CADIVI et le contrôle de change, vous pouvez m'écrire un courriel et je vous expliquerai. Vous pouvez aussi consulter ce site du gouvernement du Canada.

- La dernière raison, mais la plus importante de toutes: la division. Au Vénézuéla on vit constamment en polarisation. Les familles se sont séparées, des couples ont divorcé, des frères et sœurs ne se parlent plus, des amis se sont éloignés. Depuis mon enfance, jusqu'à mon adolescence, j'ai vécu dans un pays sans divisions politiques. Je ne suis pas nostalgique de la «quatrième république» (l'ère pré-Chavez qui comprend les années 1830 à 1999), mais la cinquième a eu de grandes et profondes failles. Elle a été incohérente dans plusieurs aspects, penchant plus vers le négatif. Je me demande toujours: «Quelle révolution? Elle est où cette révolution?»

Les funérailles d'État d'Hugo Chavez ont eu lieu vendredi dernier. C'était un moment historique et un moment de deuil pour tout le pays et même pour toute une région. Je comprends et je respecte le sentiment de douleur causé par le départ de celui qui fut président du Vénézuéla pendant les quatorze dernières années. Je respecte, et je suis émue, lorsque je lis la douleur de mes amis chavistas. Mais je ne peux pas m'empêcher de raconter et d'expliquer, au moins à ceux qui habitent ces latitudes, pourquoi tout le Vénézuéla ne pleure pas la mort de Chavez. Et je ne dois pas oublier un dernier détail: lors des dernières élections, Chavez a obtenu 8,1 millions de votes. L'opposition en a eu 6,5 millions. Ils font tous partie du même peuple.

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