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Afghanistan: le jour où on m'a dit «rentre chez toi et restes-y!»

J'espère que l'Afghanistan d'aujourd'hui ne permettra pas que les portes des écoles se ferment aux filles et que les femmes soient exclues de la société. J'espère que nous ferons en sorte que ce scénario ne se répète pas, mais, pour l'instant, on ne peut pas l'exclure.
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Du temps des talibans, les femmes n'avaient aucun droit de travailler. Avant cette époque, j'étais enquêteur aux affaires criminelles auprès du ministre de la Justice. Comme toutes les autres femmes en Afghanistan, j'ai été démise de mes fonctions et forcée de rester chez moi. Un jour, j'ai rejoint quatre cents autres femmes éduquées et, munies de nos diplômes, nous sommes allées manifester devant la grille du gouvernorat de Herat. J'étais au premier rang de la manifestation. Quand j'ai vu le gouverneur nommé par les talibans, je l'ai abordé en lui tendant la copie de mon diplôme et lui ai demandé le droit de retrouver mon poste. Il m'a jeté mes documents à la figure et a crié : "rentre chez toi et restes-y !"

Je me souviens que ma famille a vu aussi ses droits humains bafoués. La plupart de mes souvenirs de violations des droits humains remontent à la période noire des talibans. Un incident, toujours présent à ma mémoire, est arrivé à mon frère. Il avait travaillé pour le gouvernement, mais avait perdu son travail avec l'arrivée des talibans. Désormais, il gagnait sa vie en tant que chauffeur de taxi. Un jour, il a commis l'erreur de se garer devant une voiture appartenant à un membre des talibans. Ils l'ont tellement roué de coups qu'il est arrivé à la maison dans un état pitoyable. Je n'ai jamais oublié ce soir-là.

L'ère post-talibans a contribué de façon favorable à l'avancement des droits humains. La mise en application de la loi sur l'élimination de la violence contre les femmes de 2009 constitue notre succès le plus important. Nous avons constaté un énorme changement dans les conditions de vie des femmes et leur possibilité à participer à la vie politique. Par exemple, les femmes siègent maintenant au Parlement, au Sénat et aux conseils provinciaux. Nous avons aussi fait de grands progrès en matière de liberté d'expression.

Après 30 ans de guerre, les gens ont commencé à comprendre et à apprécier la valeur de leurs droits civiques et politiques. Particulièrement les jeunes. Ils ont fait le réel effort de comprendre leurs droits en tant que citoyens et de sensibiliser la société à cela. Cette meilleure sensibilisation de la société aux droits et à la politique me donne vraiment espoir.

Cependant, je ne peux m'empêcher de nourrir des inquiétudes car je crains que la communauté internationale ne déserte l'Afghanistan avant que le pays ne soit autosuffisant, avant que nos forces de sécurité ne soient suffisamment fortes. L'augmentation de la corruption au sein de l'administration me préoccupe également beaucoup.

L'Afghanistan doit faire face à de grands défis. L'aveuglement causé par les préjugés a fait que des coutumes et traditions exécrables se sont mélangées à la religion, ce qui les a légitimées. De façon générale, il y a une grande méconnaissance des vrais principes de l'islam qui conduit à toutes sortes d'interprétations fausses et nuisibles. Je pense aussi, qu'en tant que peuple, nous manquons de patriotisme.

De même, j'espère que l'Afghanistan d'aujourd'hui ne permettra pas que les portes des écoles se ferment aux filles et que les femmes soient exclues de la société. J'espère que nous ferons en sorte que ce scénario ne se répète pas, mais, pour l'instant, on ne peut pas l'exclure. Aujourd'hui, il y a toujours beaucoup de facteurs de risque : certains sont bien trop enclins à se battre avec d'autres ; des pays voisins persistent à s'ingérer dans nos affaires ; la pauvreté et le chômage restent à des niveaux inquiétants. Si nous n'arrivons pas à relever ces défis fondamentaux, il y a toujours le risque d'un retour aux erreurs du passé.

Certains facteurs peuvent dissuader les femmes de participer à la vie économique, politique et culturelle. Il y a un manque de confiance dans les capacités des femmes, même parmi les intellectuels. Parmi les femmes elles-mêmes, il y a un manque de confiance et de cohésion. Une autre cause majeure de dissuasion est le fait que le gouvernement et la communauté internationale ont oublié leurs promesses de soutien aux femmes.

Il y a des évolutions importantes auxquelles les femmes aspirent. Elles veulent voir les lois mises en œuvre et devenir effectives. Les lois ne doivent pas rester juste écrites noir sur blanc sur le papier, elles doivent être appliquées pour signifier quelque chose.

Aujourd'hui encore, le rôle des femmes en Afghanistan reste trop symbolique. Les femmes ont besoin d'être reconnues en tant que citoyennes de l'Afghanistan et leurs droits, en tant que citoyennes et personnes humaines, doivent être respectés.

Pour faire valoir leurs droits et leurs revendications, les femmes peuvent s'appuyer sur certaines branches de la police, sur le bureau du procureur pour le combat contre la violence envers les femmes, sur le ministère de la Femme et la commission indépendante des droits humains de l'Afghanistan.

J'ai une fille et je souhaite qu'elle puisse jouir du statut qui est celui de toutes les autres femmes dans le monde. Qu'elle ait le droit de choisir son mari, d'être propriétaire de sa propre maison, de travailler et de bénéficier de tous les autres droits humains auxquels elle peut prétendre.

Toute ma vie, tant dans ma vie privée que professionnelle, j'ai combattu la discrimination, les obstacles élevés devant les femmes. J'ai essayé de respecter les droits des autres, d'apprécier et d'estimer les capacités des femmes et encourager l'éclosion de ces capacités chez d'autres femmes. Lorsqu'une femme vient à moi pour demander justice de la violation de ses droits, j'essaye, avec l'aide de mes collègues, de résoudre son problème le plus rapidement possible.

Enfin, je souhaiterais adresser un message. Les femmes doivent être très attentives à protéger le pouvoir que leur donne le droit de vote aux élections par des choix informés et précis. Elles ne doivent pas permettre à d'autres, que ce soit leurs parents ou des membres importants de leur circonscription, de s'ingérer dans leur décision. Les femmes doivent participer aux élections avec diligence et en toute indépendance et liberté. Elles doivent se tourner vers d'autres femmes actives dans les domaines sociaux, culturels et politiques en Afghanistan, car ces femmes peuvent les aider à se procurer une information juste sur les candidats aux élections.

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Deux mois avant les élections présidentielles Afghanes, Armanshar/OPEN ASIA et la FIDH se mobilisent et lancent une campagne intitulée « Levons le voile sur l'Afghanistan : les voix inaudibles du progrès ». Durant 50 jours, 50 interviews d'acteurs sociaux, politiques et culturels influents de la société civile afghane seront publiés sur le site du Huffington Post aux États-Unis et dans le grand quotidien afghan, 8 Sobh. Le Huffington Post Québec a décidé de publier un échantillon de ces témoignages poignants, où il est question de droits humains et de la place des femmes. Toutes les interviews sont disponibles en anglais sur le site du Huffington Post US et de la FIDH, et en farsi sur le site d'Armanshahr/OPEN ASIA.

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