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Si seulement j'avais pu tabasser mes parents dans les règles de l'art

"Je cherche 26 Hells Angels avec un casier judiciaire lourd pour tabasser mes parents dans les règles de l'art."Voilà ce que j'ai dit il y a quelques années au psy que je rencontrais pour la première fois. Elle m'a regardé incrédule. Après quelques secondes, elle me dit: "Pourquoi pas. Si ça peut aider. Mais au fait, pourquoi?"
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"Je cherche 26 Hells Angels avec un casier judiciaire lourd pour tabasser mes parents dans les règles de l'art."

Voilà ce que j'ai dit il y a quelques années au psy que je rencontrais pour la première fois. Elle m'a regardé incrédule. Après quelques secondes elle me dit: "Pourquoi pas. Si ça peut aider. Mais au fait, pourquoi?"

Je venais de découvrir que mes parents m'avaient toujours menti sur un petit détail, de rien du tout, mais ce secret m'a détruit.

De mes tout juste sept à huit ans et demi j'ai été abusé par mon voisin qui avait 10 ans de plus que moi. Jusque là rien que le plus banal si on considère qu'une fille sur six est victime d'abus sexuel en Europe. Je ne m'en plains pas. Je fais partie des statistiques, je l'avais quelque part bien cherché en lui demandant de m'expliquer le sens des gros mots taggués un peu partout, j'étais dans un premier temps bien contente d'être finalement au courant de ce giga secret dont personne ne voulait parler. Il était immature et moi innocente. Ça arrive.

Les mots me disaient rien et les gestes m'emmerdaient. Ça ne rentrait pas parce que trop gros, ça ne rentrait jamais, même pas en essayant vraiment, et puis çe faisait mal, et puis fallait rien dire, et pas faire de bruit puisque ses parents étaient en bas et que j'avais promis de respecter ce secret des grands et puis ça a donc duré pile 18 mois avant que je trouve le courage de hurler à ses parents: "je ne veux plus jamais baiser!"

Ensuite je me suis tue. Jusqu'à mes seize ans. Le lendemain le voisin en question est parti en pension, après avoir dû me céder ses jouets préférés, mais comme personne n'expliquait rien, je n'ai pas fait le lien entre ma déclaration, son départ et ses cadeaux.

Vers 16 ans, j'ai demandé à ma mère si elle savait ce que ce voisin m'avait fait presque dix ans plus tôt. Elle est devenue blême. Est partie chercher mon père qui m'a engueulé en me disant que je devrais avoir honte de mettre ainsi ma famille dans l'embarras.

Je me suis alors tue. Encore quelques mois. Je lisais tout ce que je pouvais sur le sujet qui était alors très à la mode. Je me suis renseigné dans les textes de loi sur la possibilité de porter plainte et j'y ai vite renconcé en comprenant que pour apporter les preuves, c'était un peu tard.

Au bout de quelques mois j'ai quand même remis le sujet sur le tapis et j'ai obligé mes parents de dire ce qu'ils avaient su et quand et ce qu'ils avaient fait au niveau judiciaire. Ils ont bien vu qu'il n'y avait plus moyen d'y échapper. Ils m'ont alors avoué que ses parents étaient venus leur parler le soir de ma déclaration. Que du coup ses parents l'avaient éloigné sur le champ. Ils pensaient que l'offrande des cadeaux valaient réparation et puis basta. Mes parents m'ont dit qu'ils étaient allés consulter notre généraliste le lendemain qui aurait dit que je devrais parler de mon propre gré et qu'on ne me parle de rien tant que je n'en parlais pas. Tout ça je l'ai donc appris vers 17 ans. Et je l'ai gobé. Mes parents n'avaient pas agi sur orde du médecin. Rien à dire.

Vers quarante ans je voulais consulter un psy. Je ne me comprenais pas, souvent. Mais avant de consulter je voulais être certaine de mon histoire et des dates. A l'époque je ne tenais pas d'agenda, j'avais un ordre d'idée, mais pas de dates précises. J'ai donc cherché à joindre mon généraliste de l'époque pour qu'il me donne la date de la conversation.

Ce médecin m'avait mis au monde. Il m'avait soigné jusqu'à sa retraite. La pauvre croyait me connaître comme sa poche. Il a lâché une véritable bombe en m' annonçant qu'il aurait aimé être au courant et que cette consultation n'avait jamais eu lieu.

Je ne manquais donc pas de sujets de conversation avec ma psy. Aujourd'hui je suis en train de finir ma psychothérapie, je n'ai plus un besoin pressant de chercher des Hells Angels, mais je profite de mon billet ici pour dire à tous les parents qu'un petit mensonge, qui a l'air de rien, peut avoir des conséquences à très long terme. Je ne fréquente plus mes parents, je n'irai pas à leurs enterrements. Leur solution de facilité a détruit ma vie. L'abus en soi est grave, mentir ainsi à un enfant est bien plus grave encore.

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