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Qu'est-ce qui pourrait ternir provisoirement les relations entre l'Église catholique et le judaïsme?

"Tout chrétien doit être ferme en déplorant toutes les formes d'antisémitisme et en montrant sa solidarité avec le peuple juif." Des paroles fortes et réconfortantes qui prouvent que le pape François continue dans LA voie du rapprochement.
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"Tous les chrétiens ont des racines juives", a rappelé le pape François devant plus de 200 membres de l'Amitié judéo-chrétienne internationale (ICCJ) qu'il a reçus au Vatican ce 30 juin 2015. À cette association réunie en congrès à Rome autour du thème du 50e anniversaire de la déclaration du Concile Vatican II Nostra Aetate sur les relations de l'Église catholique avec les religions non chrétiennes, le pape a souligné solennellement que ce document représentait un "oui" définitif aux racines juives du christianisme et un "non irrévocable à l'antisémitisme". Enfin et avec force, le pape a salué le travail accompli durant 50 ans en termes "d'amitié et de compréhension réciproque" entre chrétiens et juifs, rapporte Radio Vatican (30 juin 2015).

Déjà, le bon Jean-Paul II avait tout mis en œuvre pour montrer les voies du dialogue et de la réconciliation, en particulier lors de sa visite inédite à la Synagogue de Rome, le 13 avril 1986, qui avait été un évènement sans précédent. En mars 2000, sa prière devant le mur des Lamentations constitue un moment fort, d'une portée politique majeure. De fait, le chemin parcouru par Jean-Paul II dans les voies irréversibles de la réconciliation, du pardon et de l'amour, caractérise et honore s'il en est le défunt pape. La disparition de Jean-Paul II plonge même les Juifs de France dans une certaine tristesse. Benoit XVI, son successeur, préserve le lien qui joint l'Église avec les Juifs. Les acquis du Vatican II n'ont pas été ébranlés, comme beaucoup le redoutaient. Justement, lors de la récente réception de la Conférence des rabbins européens (20 avril 2015) au Vatican, le pape François, qui nourrit des relations d'amitié étroite et ancienne avec le judaïsme, rappelle la Shoah et le 70e anniversaire de la libération d'Auschwitz. "La mémoire de ce qui s'y est passé, au cœur de l'Europe, est un avertissement aux générations présentes et futures", fait-il valoir, évoquant dans la foulée l'actualité de la violence "contre les chrétiens et les croyants d'autres religions". Contre l'antisémitisme toujours, le pape appelle une réaction chrétienne: "Tout chrétien doit être ferme en déplorant toutes les formes d'antisémitisme et en montrant sa solidarité avec le peuple juif." Des paroles fortes et réconfortantes qui prouvent que le pape François continue dans LA voie du rapprochement, de l'estime et de l'approfondissement des relations entre juifs et catholiques.

Qu'est-ce qui pourrait alors ternir provisoirement les relations entre l'Église catholique et le judaïsme?

Dans ces conditions et devant ce qui apparaît hautement et durablement comme un dialogue fructueux et fraternel, comment pourrait-on béatifier le Père Léon Dehon (1843-1925), fondateur de la Congrégation des prêtres du Sacré-Cœur ? Car voilà, ce qui pourrait apparaître comme une pierre d'achoppement, comme un obstacle.

Mais, Léon Dehon, qui est-ce au juste?

Tout au long de sa vie, le fondateur de la congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur a fustigé violemment pour ne pas dire obsessionnellement, les juifs, les francs-maçons, les Lumières, la Révolution, la laïcité. Le tout était enveloppé dans une sorte d'écran de fumée dénommé... "Christianisme social".

De quoi s'agit-il ?

Dans son Catéchisme social, publié en 1898, Léon Dehon s'emporte. Contre qui? Les Juifs.

Le peuple juif "a conquis notre or et nous tient asservis. Il tient la presse et fait l'opinion. Il remplit nos grandes écoles publiques et vise à s'emparer de l'administration et de la magistrature. C'est une conquête entamée et déjà bien avancée"... Qu'écrit-il encore? Le peuple juif "a soif de l'or et le Christ pour ennemi". Sa passion des richesses est un "instinct de race", écrit-il. Le bon apôtre dénonce la pratique de l'usure, l'esprit de "dissimulation et de domination" des juifs, ces "cosmopolites qui ruinent l'unité de la nation". Le Talmud, écrit-il, est "le manuel du parfait israélite, du détrousseur, du corrupteur, du destructeur social" ! Puis, il reprend les accusations les plus abjectes de crime rituel, il appelle à l'exclusion nationale des juifs, au port d'un vêtement spécial, à la création d'un statut à part. Même pour l'époque et en pleine Affaire Dreyfus, Léon Dehon ne fait pas dans la dentelle.

Qu'en est-il alors du processus de béatification du père Dehon?

Il avait été bloqué une première fois en 1952, par la Congrégation pour la doctrine de la foi. Cependant, Jean-Paul II avait officiellement reconnu, en avril 2004, un miracle attribué à son intercession. Ce qui avait ouvert la voie à sa béatification. Le prêtre français devait être béatifié le 24 avril 2005. Mais la mort du pape polonais avait ajourné cette célébration. Benoît XVI avait fait alors le choix de ne pas le béatifier après la découverte par l'épiscopat français d'écrits jugés antisémites. Il avait nommé une commission chargée de faire la lumière sur l'antisémitisme de Léon Dehon.

Or, voilà... Le pape François a dit souhaiter l'aboutissement de la cause de béatification du prêtre, qui avait été bloquée en 2005 en raison de ses écrits antisémites. Sans jamais les citer, le pape a clairement souhaité que les écrits jugés antisémites du P. Dehon soient placés dans le contexte de l'époque. "C'est un problème d'herméneutique" (interprétation selon le contexte historique), a-t-il confié avant de poursuivre: "On doit étudier une situation historique avec l'herméneutique de l'époque, et pas avec celle d'aujourd'hui."

Eh bien non et malgré le respect que nous devons et que nous impose le bon pape François, on ne peut, on ne doit faire abstraction de ce qui, à une certaine époque, a constitué le segment fort et particulier de tous les fantasmes, de toutes les vilénies, de tous les préjugés, de tous les clichés mortels, qui se répandaient comme une trainée de poudre, stigmatisant violemment les Juifs, les jetant aux orties, si ce n'est aux chiens.

Nous voyons là un autre argument. Justement, parce que ces stéréotypes immondes ont traversé les siècles; justement, parce qu'ils se retrouvent ou sont portés encore aujourd'hui par de tristes Sirs ; justement parce que l'antisémitisme se nourrit des mêmes horreurs, les réactualisant, mais puisant en elles irrémédiablement, comme dans un puit ou une béance sans nom, on ne peut, on ne doit se réfugier derrière l'alibi malheureux du "problème d'herméneutique". De fait, si elle devait avoir lieu, cette décision pourrait hélas ternir les relations entre l'Église catholique et le judaïsme. Nous voyons enfin un troisième argument. Au-delà, comment par cette éventuelle béatification l'Église pourrait donner aux croyants et en exemple le Père Dehon?

Mais, au fond la seule question qui mérite d'être posée est celle-ci: peut-on dénoncer l'antisémitisme, rappeler les racines juives du christianisme et béatifier un... antisémite?

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Mai 2017

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