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Jean Charest et l'usure du pouvoir

Jean Charest occupe les fonctions de premier ministre depuis le 29 avril 2003. Dans quelques jours, cela fera 9 ans qu'il dirige le Québec et ses destinées. Trop long ou pas assez, c'est selon. Mais s'il remporte les prochaines élections, on pourra certainement parler dorénavant du règne Charest. L'histoire l'intronisera à ce club sélect de dirigeants politiques québécois accros du pouvoir qui ont, chacun et à leur façon, marqué le Québec des 100+ dernières années par des mandats (continus ou interrompus) plus que décennaux.
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Jean Charest occupe les fonctions de premier ministre depuis le 29 avril 2003. Dans quelques jours, cela fera 9 ans qu'il dirige le Québec et ses destinées. Trop long ou pas assez, c'est selon. Mais s'il remporte les prochaines élections, on pourra certainement parler dorénavant du règne Charest. L'histoire l'intronisera à ce club sélect de dirigeants politiques québécois accros du pouvoir qui ont, chacun et à leur façon, marqué le Québec des 100+ dernières années par des mandats (continus ou interrompus) plus que décennaux. Ils sont aujourd'hui quatre et demain peut-être cinq. En plus de leur longévité politique, ils ont au moins deux autres points en commun: 1) ils ont axé leurs programmes politiques sur le développement économique, et 2) l'usure du pouvoir et le scandale ont eu raison de leurs gouvernements. Est-ce dire que développement économique rime avec scandale?

Lomer Gouin

Le premier d'entre eux, le libéral Lomer Gouin, a gouverné la province de Québec de 1905 à 1920, soit pour un total de quinze ans. Pour l'historien Richard Jones, sur le plan idéologique, « Gouin se rallia au libéralisme classique voulant, par exemple, que l'État se fie aux entrepreneurs privés pour favoriser le développement économique. » [Dictionnaire biographique du Canada en ligne] À ce chapitre, il investit beaucoup d'énergie pour attirer des capitaux américains dans la province. Parmi ses bons coups, notons qu'il a réussi à gagner une augmentation du subside fédéral aux provinces en 1906, de même que l'annexion du district d'Ungava au territoire de la province en 1912, nommé alors Nouveau-Québec. Il fut également un grand défenseur du développement de l'éducation. Il permit l'augmentation du salaire des instituteurs et créa deux écoles techniques à Montréal et à Québec. En 1909 enfin, il mit sur pied le Bureau des commissaires pour lutter contre la corruption municipale à Montréal.

En 1914, son gouvernement fut toutefois éclaboussé par une affaire de corruption: l'affaire Mousseau-Bérard-Bergevin, du nom des trois hommes politiques impliqués. Le député Joseph-Octave Mousseau et les deux conseillers législatifs Louis-Philippe Bérard et Achille Bergevin du parti Libéral, piégés par le Montreal Daily Mail, avaient accepté de faux pots-de-vin en échange de la promesse d'adoption d'un bill privé favorable à une compagnie. Manigancée par le Montreal Daily Mail, l'affaire fut publiée et, devant les protestations populaires, les hommes durent démissionner. Certains soupçonnèrent l'existence d'un véritable système de pots-de-vin du genre au sein du gouvernement Gouin, mais la démission des trois hommes mit fin à l'histoire sans qu'une enquête puisse éclaircir davantage l'affaire.

Louis-Alexandre Taschereau

Le deuxième, libéral lui aussi et successeur de Lomer Gouin, Louis-Alexandre Taschereau a occupé le poste de premier ministre de la province pendant près de 16 ans, de 1920 1936. Avocat de formation et fils d'un juge de la Cour Suprême, Taschereau, dans la veine de Gouin, favorisa le développement industriel de la province ainsi que le développement de l'hydroélectricité. Il travailla activement à freiner l'émigration des Canadiens français vers les États-Unis. Il a également créé les deux écoles des Beaux-Arts de Montréal et de Québec. L'historien Bernard Vigod, qui a rédigé une biographie de Taschereau parue en 1996, le décrit ainsi: «Bête noire des nationalistes québécois, il accueille favorablement l'afflux de capitaux américains dans les années 20 et demeure sourd aux demandes de réformes socio-économiques de la population dans les années 30. » [L'encyclopédie canadienne] La crise économique de 1929 affaiblit grandement son gouvernement. Ce contexte précaire, couplé à certaines réformes qui ne plaisent pas à l'ensemble des membres de son parti, entraîne la défection de l'aile gauche dite « radicale » qui, sous le leadership de Paul Gouin, fonde l'Action libérale nationale (qui deviendra plus tard l'Union nationale par la fusion avec le Parti conservateur en 1935).

Tout comme Gouin, Taschereau est éclaboussé par le scandale politique. Contrairement à Gouin toutefois, il devra lui-même démissionner après la révélation d'une affaire de corruption devant le Comité des comptes publics impliquant notamment son frère Antoine, qui s'était approprié les intérêts des fonds appartenant à l'Assemblée législative. Devant la pression populaire et politique de l'opposition officielle, Taschereau n'a d'autres choix que de jeter la serviette pour sauver l'honneur de son parti. Les élections de 1936 ne lui donnent cependant pas raison. C'est l'Union nationale de Maurice Duplessis qui est alors portée au pouvoir.

Maurice Duplessis

Ce qui nous amène à notre troisième candidat sélect, le champion du groupe, nul autre que Maurice Duplessis, dit le Chef, qui tiendra les rênes de la province pendant plus de 18 ans: de 1936 à 1939, puis de 1944 à 1959. L'une des figures politiques les plus controversées de notre histoire, Duplessis marque cette période précédent la Révolution tranquille qui, dans la mémoire collective, demeure celle d'une « Grande noirceur ». Selon son biographe, Conrad Black, «Duplessis affirme l'autorité du gouvernement du Québec sur l'Église, se bat contre le gouvernement fédéral et réussit à récupérer, du moins partiellement, la compétence concurrentielle de taxation directe après la Deuxième Guerre mondiale » [L'encyclopédie canadienne]. Autoritaire, il est reconnu pour sa rigidité à l'égard des syndicats (grève d'Asbestos) et des journalistes (Le Devoir), son anticommunisme démesuré (Loi du cadenas) et son mépris envers les intellectuels, artistes et les sciences sociales. On ne lui reconnait toutefois pas que des mauvais coups. Sous son règne, il développe l'électrification rurale, le réseau routier de la province, les hôpitaux ainsi que les écoles techniques et professionnelles, de même que certaines facultés de sciences et de génie dans les universités. En 1945, il crée également Radio-Québec pour concurrencer Radio-Canada. En 1948, son gouvernement adopte le fleurdelisé comme drapeau officiel de la province. Et en 1954, il instaure l'impôt provincial sur le revenu qui mènera à une réduction de l'impôt fédéral.

En juin 1958, le journaliste au Devoir Pierre Laporte dévoile au grand jour le scandale de la Corporation du gaz naturel, qui implique alors directement l'Union nationale de Duplessis. Laporte découvre que six ministres du gouvernement et quatre conseillers législatifs ont « spéculé et empoché de substantiels profits lors de la vente du réseau public de gaz naturel à l'entreprise privée » [Jean-Charles Panneton, Pierre Laporte, 2012, p. 136]. L'affaire donne évidemment des munitions à l'opposition officielle et aux détracteurs de Duplessis. Mais ce sera ultimement la mort du Chef, le 7 septembre 1959, qui sonnera la fin de son règne.

Robert Bourassa

Le dernier, mais non le moindre, Robert Bourassa connait deux mandats comme premier ministre. D'abord entre 1970 et 1976, puis entre 1985 et 1994, pour un total de 14 ans de pouvoir. Père de la Baie James, Bourassa favorise le développement des richesses hydroélectriques du Québec dans le Grand Nord et se fait le promoteur de l'Accord de libre-échange adopté par le gouvernement Mulroney avec le Mexique et les États-Unis. Parmi ses bons coups, notons l'assurance-maladie adoptée en juillet 1970, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne en 1975 et la première loi reconnaissant le français comme seule langue officielle du Québec en 1974.

C'est sous son premier gouvernement que son parti est aux prises avec des histoires de scandales et de corruption liées à la construction des installations olympiques. Cela mène à son renversement par le Parti Québécois de René Lévesque en 1976.

Et Jean Charest?

Ce bref survol biographique des quelques premiers ministres du Québec ayant été en poste pendant plus de 10 ans démontre une chose: l'usure du pouvoir semble mener inévitablement vers les scandales. Et le gouvernement de Jean Charest ne fait malheureusement pas exception à la règle. Axé sur l'économie, tout comme ses collègues sélects, il semble plus en phases avec les compagnies et les intérêts du privé qu'avec la défense du bien commun et de l'intérêt collectif. Mais contrairement aux autres accros du pouvoir, que pouvons-nous réellement reconnaitre à son gouvernement au chapitre des grandes réalisations? Difficile de répondre...

Si ses manoeuvres politiques des deux dernières années auront permis d'étioler l'impact politique de l'affaire de collusion et de corruption dans l'industrie de la construction, laquelle pourrait possiblement impliquer son propre gouvernement, il n'en demeure pas moins qu'une lourde odeur de scandale plane au-dessus de son parti. Et c'est sans compter les multiples manifestations populaires contre les politiques de son gouvernement: la présente grève étudiante, la plus importante de l'histoire du Québec contemporain; l'opposition à l'exploitation des gaz de schistes et au développement de centrales hydroélectriques sur certaines rivières vierges; les nombreuses critiques adressées au Plan Nord et à la dilapidation de nos richesses naturelles; et quoi d'autre?

Chose certaine, quand ça craque de partout, c'est signe que la fin approche. L'histoire nous l'a clairement appris.

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