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Cette Histoire politique qui doit aussi s'apprendre au cinéma

« Or, actuellement, ce qui s'offre [au grand écran] aux Québécois passionnés d'histoire [politique], qui veulent cultiver leur ''Je me souviens'', ce ne sont pratiquement que des récits états-uniens. » Ces mots de l'éditorialiste Antoine Robitaille dans les pages dude mardi, faisant suite au dossier sur l'histoire au cinéma publié dans l'édition du weekend dernier, font état d'une réalité (l'absence du cinéma politique de fiction au Québec) qui en cache une autre. Celle d'une ignorance face à notre histoire politique et nationale.
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« Or, actuellement, ce qui s'offre [au grand écran] aux Québécois passionnés d'histoire [politique], qui veulent cultiver leur ''Je me souviens'', ce ne sont pratiquement que des récits états-uniens. » Ces mots de l'éditorialiste Antoine Robitaille dans les pages du Devoir de mardi, faisant suite au dossier sur l'histoire au cinéma publié dans l'édition du weekend dernier, font état d'une réalité (l'absence du cinéma politique de fiction au Québec) qui en cache une autre. Celle d'une ignorance face à notre histoire politique et nationale. Représentation du rapport plus que ténu que l'on entretient collectivement avec notre passé politique, le cinéma semble condamné à ne revisiter que très épisodiquement (et maladroitement?) notre récit national. En effet, comment pourrions-nous espérer produire des fictions de qualité sur des personnages et événements politiques que l'on connait à peine. Surtout alors que plusieurs chapitres de notre histoire d'avant 1960 souffrent encore d'une mise à l'index (Grande Noirceur). Or, c'est bien là que le rôle des historiens doit, entre autres, se jouer. Pas seulement dans les livres académiques, mais aussi dans les salles de montage, au sein d'équipes de production, de scénaristes.

Tandis que l'on dénonce et condamne, depuis longtemps et sur toutes les tribunes, le désintérêt des jeunes envers notre histoire (nationale) et, par conséquent, leur ignorance de la chose historique, certains experts de l'éducation, pédagogues et historiens ont cherché à réformer les programmes scolaires en matière d'histoire (grugeant la connaissance au profit de la compétence), d'autres revendiquent désormais plus d'heures d'enseignement de l'histoire nationale aux niveaux secondaire et collégial (Coalition pour l'histoire). Au-delà des initiatives intra muros, il faut se rendre à l'évidence: l'histoire québécoise, politique et nationale, a terriblement besoin d'une campagne de promotion.

Le cinéma, la télé, la webtélé peuvent et doivent jouer ce rôle publicitaire. Et les historiens, scribes des événements et personnages du passé, peuvent et doivent s'asseoir derrière les caméras. Surtout puisque l'Histoire politique (d'ailleurs), depuis les dix ou quinze dernières années, n'a jamais été aussi populaire au grand comme au petit écran. Le dossier du Devoir soulignait l'omniprésence de Clio (la politicienne) dans la cuvée américaine des Oscars cette année. Or cet attachement hollywoodien pour le Grand Récit américain ne date pas d'hier. On pourrait citer également nombre de séries télé historiques ou d'inspiration historique, américaines et d'ailleurs (Rome, Spartacus, Mad Men, Downton Abbey, Un Village français, The Tudors, The Borgias) ou encore d'émissions documentaires (Apocalypse: la Deuxième Guerre mondiale; Amour, haine et propagande; Pour l'histoire...) connaissant, dans l'ensemble, des succès remarquables. Chose certaine: l'Histoire politique a la cote! Et chez les Québécois, qui en consomment abondamment.

Est-ce à dire que les publics québécois n'ont pas le goût de leur propre histoire? Certainement pas. L'Histoire demeure un canevas sur lequel on brosse assez régulièrement des dramatiques. Pensons notamment à Gerry (2011), Frisson des collines (2011), Le Poil de la bête (2010), L'Heure de vérité(2009), 1981 (2009), Je me souviens (2009), Le Piège américain (2008), Un été sans point ni coup sûr (2008), Maurice Richard (2005), C.R.A.Z.Y. (2005). Par ailleurs, Rouge sang (2013), qui sort prochainement en salles et auquel faisait référence Antoine Robitaille, s'inscrit parfaitement dans ce registre (dramatique sur fond historique). Ou encore aux séries Musée Eden (Radio-Canada, 2010), Les Rescapés (Radio-Canada, 2010-2012), Nos Étés (TVA, 2005-2008), Le Négociateur (TVA, 2005-2008).

Les Québécois s'intéressent donc à l'Histoire, même à la leur. Comment expliquer alors que depuis le début des années 2000, on compte à peine trois films de fiction historique à caractère politique ayant pris l'affiche sur nos écrans: Nouvelle-France (Jean Beaudin, 2004), 15 février 1839 (Pierre Falardeau, 2001) et Le Déserteur (Simon Lavoie, 2008). De même qu'une seule série télé: René Lévesque (Giles Walker, 2006). Au surplus, dans le lot, seuls la série René Lévesque et le film 15 février 1839 portent spécifiquement sur des personnages politiques de notre histoire. C'est tout de même étonnant! Frilosité des organismes producteurs, des cinéastes? Manque de scénarios? Pourtant, la littérature historique québécoise regorge de biographies, d'études et d'essais sur des personnalités et événements politiques qui ont façonné notre Histoire.

Certains diront, comme le rappelle Antoine Robitaille dans son éditorial, « qu'il est impossible de rapporter fidèlement un événement passé, tout étant toujours ''biaisé'' ». Certes, l'Histoire (avec un grand H) n'existe pas au cinéma ni à la télé. Elle n'existe pas plus dans les livres, même les plus académiques et théoriques. Les historiens seront toujours condamnés à interpréter l'Histoire à partir des documents et archives et selon un point de vue bien personnel. Et ces interprétations, quoiqu'appuyées par des sources et méthodes, seront toujours bien subjectives. Deux chercheurs travaillant sur un même personnage, un même événement, arriveront parfois à des interprétations complètement opposées. C'est le propre de la discipline historique. Que le Maurice Duplessis de Denys Arcand (Duplessis, 1978) attire la critique (positive ou négative) est souhaitable. Ça nous permet, collectivement, de discuter notre passé, de s'y intéresser! Et d'avoir envie d'y retourner.

Car le cinéma demeure une porte d'entrée toute désignée vers l'Histoire. Les historiens(ne)s doivent investir davantage le terrain cinématographique.

Il y a certes l'argent qui demeure un frein à la production d'oeuvres que l'on dit « lourdes », c'est-à-dire qui nécessitent la création de décors, de costumes et d'effets spéciaux coûteux. Ceci dit, l'ingéniosité, la créativité québécoise a démontré, depuis longtemps, qu'on sait faire mieux avec moins. Et puis il y a la technologie qui permet aujourd'hui, à moindre frais, de déployer un décor d'antan tout aussi crédible (Musée Eden l'a bien réussi d'ailleurs). L'argent n'explique donc pas tout.

Et dire qu'il n'existe pas encore de film(s) sur Champlain et la fondation de Québec, sur Montcalm et la bataille des Plaines d'Abraham, sur Lafontaine et Baldwin et la quête du gouvernement responsable, sur Lord Durham et l'Acte d'Union, sur Henri-Bourassa et l'opposition à la conscription de 1917, sur la fondation du parti Union nationale à l'époque du gouvernement Taschereau, sur le gouvernement Godbout et le droit de vote des femmes, sur la grève d'Asbestos de 1949 et la répression duplessiste... ! C'est autant de moments de notre histoire nationale auxquels le cinéma et la télé pourraient nous initier. Pour nous donner pas juste le goût de l'Histoire, mais de notre Histoire.

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