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Techno et enseignement: la peur d'évoluer

Si vous évoluez dans le monde de l'éducation, vous aurez certainement rémarqué à quel point le milieu peut être étouffant lorsqu'il s'agit de soutenir l'innovation pédagogique ou de promouvoir le changement.
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Pour ceux qui évoluent dans le monde de l'éducation depuis quelques années, vous aurez certainement réalisé à quel point le milieu peut être étouffant lorsqu'il s'agit de soutenir l'innovation pédagogique ou de promouvoir le changement.

Tout ce qui est nouveau y passe. C'est un passage obligé. Hervé Sérieyx énonçait de façon éloquente que «toute idée neuve plongée dans une société reçoit de celle-ci une poussée verticale inverse égale à la masse de son conservatisme». C'est ce qu'il appelle le principe d'Archimède. Sérieyx emprunte une théorie qui remonte aux balbutiements de la science moderne pour démontrer simplement que plus le changement à amener est important, plus le champ de résistance le sera.

D'ailleurs, s'il n'y a pas de résistance, il n'y a simplement pas de changement.

À l'heure actuelle, les nouvelles stratégies d'enseignement exploitent de plus en plus les nouvelles technologies de l'information et des communications. Il est donc à propos d'essayer de comprendre ce qui bloque chez nos enseignants, afin qu'ils fassent le grand saut...

La démagogie et le besoin de s'opposer

Les stéréotypes sont véhiculés à tous azimuts. Et si les technologies de l'information et des communications (TIC) ne rehaussaient pas la qualité de l'enseignement? Et si les résultats chez les élèves n'augmentent pas? Pour chaque argument, il y a une recherche universitaire qui l'appuie. Sinon, les statistiques font mentir un camp ou un autre. Ces doutes justifieraient une adaptation éducative du principe de précaution, stipulant qu'en l'absence de certitudes scientifiques, il serait mieux de s'abstenir d'adopter une conduite qui pourrait s'avérer dommageable pour, dans ce cas-ci, le monde de l'éducation.

Pourtant, peu importe l'outil, la différence, c'est le pédagogue qui la fait! À écouter ces oppositions souvent biaisées, c'est un peu comme si on justifiait le besoin de demeurer dans l'inertie en s'opposant et en évoquant une quelconque recherche scientifique. N'est-ce pas le propre de la société québécoise de s'opposer sans avoir rien de vraiment mieux à proposer?

Les enseignants geeks

Pour leur part, les enseignants technophiles doivent se battre avec les préjugés de leurs collègues, de leur direction et parfois même avec ceux de leurs propres élèves et parents. Ils sont qualifiés de geeks, ils sont des «spécialistes» de l'intégration des TIC à la pédagogie, ils sont les «enseignants du futur». Leurs collègues ne se croient pas capables de rivaliser avec ces derniers.

Pourtant, ces geeks ne font qu'utiliser différentes technologies qui sont conviviales et accessibles. Ils n'ont bien souvent aucune compétence technique particulière et ne connaissent rien en programmation. Ce ne sont que des visionnaires qui sont aptes à se remettre en question pour le bien de leurs élèves.

Malheureusement, en catégorisant ainsi ces enseignants technos, on les place dans une catégorie à part pour se permettre d'accepter qu'il nous soit impossible d'accéder à leur niveau d'expertise. Au lieu de leur permettre de rehausser le niveau des compétences de l'ensemble du corps enseignant par un effet multiplicateur quelconque, trop d'enseignants choisissent de les exclure de leurs schèmes de référence de développement professionnel.

Le déclin des rapports humains

Plusieurs entretiennent la perception que la technologie multiplie les possibilités de communication tout en appauvrissant leur qualité. Donc nos jeunes communiqueraient plus en termes quantitatifs, mais moins en terme qualitatif. Cela dit, le raisonnement de sophiste s'impose de soi alors que plusieurs s'inscrivent en faux contre la tendance de l'intégration des TIC dans la pédagogie. Après tout, même dans Silicon Valley, certains collèges privés ont choisi de bannir les appareils électroniques de leur milieu! Pourtant, ils sont tombés dedans lorsqu'ils étaient petits!

Les rapports humains, ça s'apprend par les humains. C'est le travail des parents et du milieu scolaire d'apprendre aux enfants comment interagir socialement. Qu'on les interdise ou non, les médias sociaux sont là pour rester; on ne fait que retarder le moment où les jeunes y goûteront.

Finalement, ces médias, jumelés à la portabilité d'internet, auront permis de grands moments dans l'histoire de l'humanité, entre autres lors du fameux Printemps arabe, alors que Facebook et Twitter ont servi de catalyseurs face à l'oppression de régimes politiques autocratiques. À plus petite échelle, ils peuvent certainement être utiles au monde de l'éducation de différentes façons, en mettant en évidence des formules pédagogiques typiquement humaines: la collaboration, la rétroaction et la différenciation en classe.

La peur de l'échec

D'autre part, trop d'enseignants craignent l'intégration des TIC à leur pédagogie de peur que leurs élèves en connaissent plus qu'eux dans ce domaine. Cela est effectivement plausible. Cependant, un fait demeure: même si les élèves étaient plus compétents que leurs enseignants pour utiliser les médias sociaux, les tablettes ou l'internet en général, ils ne connaissent en revanche absolument rien en pédagogie ou en didactique. En ce début de 21e siècle, avec l'avènement des TIC, les enseignants ont peut-être perdu le monopole de la connaissance, mais ils demeurent les seuls spécialistes de la didactique et de la pédagogie.

À eux de veiller à ne pas manquer également le train de la technopédagogie.

Développer de nouvelles stratégies d'enseignement implique une expérimentation qui force l'enseignant à sortir de sa zone de confort pour explorer de nouvelles avenues. Contrairement à ce qu'il croit, il ne fait pas face à des possibilités d'échec, bien au contraire. L'échec le plus lamentable pour un enseignant serait de demeurer obstinément immobile devant les perspectives offertes par les TIC en éducation.

Nonobstant cela, un enseignant qui accepte de prendre des risques calculés et qui sait sortir de sa zone de confort est celui qui inspirera l'élève à reproduire ce comportement à son tour. Bref, le professionnel prêche par l'exemple, et non plus seulement par ses envolées lyriques. C'est par la peur de l'échec que l'on réalise les plus grands accomplissements.

L'écoeurement, l'essoufflement...

Le problème lorsque l'on traite du changement en milieu scolaire est le ras-le-bol de l'omniprésence du changement lié au «Renouveau pédagogique» qui s'est étendu du primaire jusqu'au secondaire: nouveaux programmes, épreuves prototypes, bulletin unique, etc. Tant de changements qui ont été perçus négativement par plusieurs enseignants, syndicats ou cadres scolaires, et dont l'apparence d'improvisation et de tâtonnement ont eu pour effet d'exaspérer bon nombre d'intervenants scolaires, pour ainsi les rendre plus méfiants et appréhensifs au changement. Ces derniers tentent d'assimiler leurs nouveaux points de repère que, déjà, un autre besoin se fait sentir, celui-là très aigu et à la base de tous les autres. Il s'agit désormais de modifier et d'actualiser les pratiques pédagogiques et d'intégrer les TIC. Il n'est donc plus vraiment question de changements à la structure du système éducatif, mais plutôt d'une remise en question de la manière d'enseigner et de mettre en place de nouvelles stratégies gagnantes différenciées qui permettront de rejoindre tous les élèves de la classe, aussi différents soient-ils les uns des autres.

Ainsi, le changement en éducation est devenu un irritant majeur alors qu'il devrait être une norme admise. Ces situations répétées dans un court laps de temps auront fini par amenuiser la capacité d'adaptation des enseignants. Elles auront également fini par créer un sentiment d'insécurité tenace chez ces derniers. Pour reprendre Sérieyx, «le monde n'est incertain que pour ceux qui ont besoin de certitudes; pour les autres, il n'est que le monde de toujours avec les risques et les chances de ses hasards.»

... et de six

Alors que je donnais une conférence sur le changement en éducation, il y a quelques années, une dame m'informe que, selon elle, il existe un sixième obstacle à l'intégration des TIC: les contraintes administratives. Autrement dit, les cadres scolaires peuvent parfois être des éteignoirs d'initiatives pédagogiques ou d'imposants visionnaires du court terme. Bref, la dame en question exprimait sa déception de devoir composer avec un tableau interactif dans sa classe, lequel a été posé trop haut pour que ses élèves de maternelle puissent y accéder. La raison de cette installation est que ledit tableau devait être conforme au normes scolaires et qu'il puisse être utilisé si jamais la vocation du local changeait.

... et de cent vingt-trois

Voilà donc les principaux obstacles au changement qui sont identifiables dans l'intégration des TIC à la pédagogie. Évidemment, il y en a plusieurs autres qui ont été répertoriées par les recherches de Hew and Brush(2006). En effet, ces derniers identifient 123 obstacles à l'intégration des TIC à la pédagogie, lesquelles peuvent être catégorisées de six façons différentes:

1.Les ressources;

2.La culture institutionnelle;

3.La culture de la matière enseignée;

4.Les attitudes et les croyances;

5.Les connaissances antérieures;

6.L'évaluation.

Les deux universitaires proposent également cinq façons d'outrepasser ces obstacles, en plus de divers moyens de pallier à certaines difficultés.

L'école : un incubateur à changement

Les enseignants se sentent donc bousculés dans ce monde de changement qui, faut-on le rappeler, est appelé à redéfinir le monde de l'enseignement et, par ricochet, la fonction enseignante. Ainsi, comment l'école peut-elle être un agent de changement alors qu'à la base, elle s'est cristallisée dans un conservatisme et une inertie peu éloquente?

Il est de plus en plus évident que trop d'enseignants se complaisent dans le confort de leurs stratégies qui-ont-fait-leurs-preuves-depuis-des-années et, pour justifier leur immobilisme, ils dénigrent ceux qui se démènent pour embrasser cette nouveauté. Comme quoi, pour paraphraser Carl Leblanc, auteur québécois, certains critiques sont capables de détruire, mais incapables de créer...

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