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La vie après le suicide: ce que je veux dire à mon fils Daniel

TÊTE À TÊTES - Pourquoi ne répondais-tu pas à nos appels ce soir-là? Nous ne comprenions pas pourquoi tu n'étais pas venu souper. Quand as-tu pensé à nous pour la dernière fois lors de cette terrible nuit? As-tu pensé, même quelques secondes, que nos vies deviendraient un véritable enfer après ton départ?
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Depuis que tu es parti, j'ai eu le temps de réfléchir. Je me souviens à quel point c'était un bonheur d'être à tes côtés. Tu m'as laissé des morceaux de toi que je veux garder à jamais. Pendant la majeure partie de ta vie, toi et moi, nous étions inséparables. Tu étais chaleureux. Tu avais un sourire contagieux. Je te voyais souvent rêvasser. Quand tu regardais par la fenêtre, je me demandais toujours ce que tu voyais et que je ne voyais pas.

Nous discutions souvent des paroles des chansons, de leur signification. Tu étais sensible et tu comprenais les émotions cachées dans le sous-texte des chansons.

Le matin, dans mon lit, il m'arrive souvent de penser à toi. Je pense à ton dernier anniversaire, celui où tu as eu 23 ans. Tu m'avais envoyé un courriel pour me dire ce que tu voulais manger. Mes pensées sont teintées de souvenirs et de nostalgie. Tu étais énergique et tu avais un bel avenir devant toi.

Tu m'as aidé à comprendre ce que peut être la détresse humaine. Dans la mort, tu m'as montré comment l'humain se transforme, pas toujours pour le mieux. Daniel, tu manques à ta famille. Parfois, c'est comme si nous étions pris dans des sables mouvants, comme si le monde s'effondrait sous nos pieds. Notre chagrin est encore lourd.

J'ai souvent ri à tes côtés et jamais je n'étais aussi heureuse que quand nous étions réunis en famille, tous les cinq. Je te vois dans la cuisine en train de nous préparer un repas dément, tout en parlant de la prochaine aventure en famille. J'étais tellement fière de l'homme que tu devenais. Je trouvais qu'en tant que duo mère et fils, on pouvait faire difficilement mieux.

As-tu pensé, même quelques secondes, que nos vies deviendraient un véritable enfer après ton départ?

Quand ton père m'a dit que les nouvelles étaient mauvaises, j'ai frissonné. Pourquoi ne répondais-tu pas à nos appels ce soir-là? Nous ne comprenions pas pourquoi tu n'étais pas venu souper. Quand as-tu pensé à nous pour la dernière fois lors de cette terrible nuit? As-tu pensé, même quelques secondes, que nos vies deviendraient un véritable enfer après ton départ? Pourquoi ne nous as-tu pas dit que tu détestais la personne que tu devenais?

Tu avais perdu espoir. Malgré tout le beau que tu avais vécu dans ta vie, tu vivais dans la peur et l'incertitude. C'est ce qui t'a mené à la dérive, particulièrement au moment où tu es parti pour l'université.

Je crois savoir que tu as essayé de me parler. Ce n'est qu'aujourd'hui que j'entends les échos de tes cris. Chaque fois que je passe la porte du chalet, je peux sentir ton désespoir. Si nous avions su ce que tu vivais au collège et à l'université, nous aurions fait quelque chose pour toi. Mais tu ne voulais pas nous décevoir. Tu détestais avoir à mentir pour nous dire que tout allait bien, alors tu as laissé la colère s'abattre sur toi. Et ça a mené à ton suicide.

Ta famille et tes amis seraient intervenus. Mais nous n'avons pas eu la chance de connaître cette autre personne que tu étais devenue. Tu aurais eu assez de temps, avant que les idées suicidaires ne deviennent trop grandes, pour gérer cette douleur qui te rongeait. Il y avait deux Daniel qui combattaient. Un voulait vivre, l'autre voulait mourir.

Dans les dernières années de ta vie, tu as eu du mal à entrer en contact avec les gens autour de toi. Tu étais incapable de partager tes émotions. De l'extérieur, c'est comme si tu ne faisais plus attention aux autres autour. Je le voyais bien, mais je ne savais pas que c'était le symptôme d'un homme qui ne pouvait plus faire face à la vie.

Personne ne pouvait percer ta carapace et, sans aide professionnelle, tu étais incapable de partager tes pensées sombres. Tu n'avais pas à mourir. C'est là toute notre tragédie.

Ce Daniel était un étranger pour nous. Tu étais rempli de remords. Tu avais peur de l'échec. Ça t'a guidé vers ce chemin destructeur. À partir du printemps 2009, personne ne pouvait percer ta carapace et, sans aide professionnelle, tu étais incapable de partager tes pensées sombres. Tu n'avais pas à mourir. C'est là toute notre tragédie.

C'est le désespoir et la douleur créés par cette double identité qui t'a mené au suicide. Lors de ce dernier jour, alors que tu te sentais prisonnier de cette armure de désespoir, tu t'es peut-être dit que nous serions mieux sans toi. Tu avais épuisé toute l'énergie qui te restait pour nous faire croire que tout allait bien. Tout s'écroulait. C'est horrible de penser que tu étais seul au chalet, remâchant tout ce qui n'allait pas dans ta vie. Tu étais devenu l'autre Daniel; celui qui n'aimait pas ce qu'il était.

Ton suicide va nous hanter jusqu'à la fin de nos jours. Ta vie a été fauchée en quelques minutes et il n'en reste que des souvenirs.

Tu étais l'archétype de l'homme : beau et athlétique, fort en apparence, mais sensible en son cœur. Tu étais à l'écoute de nos émotions et tu amenais souvent le calme quand la peur et le doute nous menaçaient.

Ton suicide va nous hanter jusqu'à la fin de nos jours. Ta vie a été fauchée en quelques minutes et il n'en reste que des souvenirs. J'ai longtemps été déprimée. Mais je ne peux rester seule dans mon coin pour toujours.

Je suis partie à la recherche de réponses. J'ai voulu comprendre la douleur et le désespoir que tu avais pu vivre. J'ai dû essayer de comprendre ce qui avait mené à ta dépression puis à ton suicide si je voulais commencer à aller mieux.

Je suis ta mère et je me devais de comprendre ton départ. Je devais comprendre que tu ne rentrerais plus à la maison.

Je t'aime, pour toujours. Maman xo

Nous avons tous un rôle à jouer pour que la stigmatisation autour des maladies mentales cesse un jour. En partageant nos histoires, nous pourrons peut-être comprendre les conséquences reliées à la dépression non traitée et la peine immense entrainée par le suicide d'un proche.

Cette lettre écrite à Daniel démontre la douleur causée par la dépression et la brutalité de perdre un être cher.

Pour plus d'informations sur la prévention du suicide chez les jeunes et sur mon livre Give Sorrow Words, visitez le lynnkeane.ca.

Ce blogue initialement publié sur Huffington Post Canada a été traduit de l'anglais.

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