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Méthode «lean» en éducation: dérapages en vue

L'implantation de cette méthode dans les soins à domicile a mené au bord de la crise de nerfs les travailleuses et travailleurs sociaux, les ergothérapeutes et les infirmières et infirmiers responsables de ces interventions
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La semaine dernière, on apprenait que cinq commissions scolaires, accablées par les compressions budgétaires, ont décidé de participer à un projet-pilote et d'adopter la méthode « Lean-Toyota » pour améliorer leur performance. Après les multiples dérapages auxquels cette méthode a donné lieu dans le domaine de la santé, on s'étonne que des administrateurs avertis du milieu de l'éducation se soient laissé tenter par un mode de gestion issu du monde de l'automobile.

Un risque pour la santé des personnes salariées

Le cœur du problème est peut-être là d'ailleurs. On utilise un modèle de gestion destiné à l'amélioration de la fabrication d'objets et issu du secteur privé dans les milieux de l'éducation et de la santé, dont le but est de rendre des services en entrant en relation avec des humains. La logique du profit affronte ici la logique des services. Même dans le secteur manufacturier, d'où elle est issue, la méthode « lean » soulève de nombreuses critiques. Un ingénieur français autrefois partisan de cette méthode affirme maintenant qu'elle comporte un important risque pour la santé des personnes salariées. Selon lui, ce mode de gestion provoque «l'intensification du travail, la diminution de la latitude décisionnelle, la perte de solidarité et [génère] à la fois des troubles psychosociaux et des troubles musculo-squelettiques».

Un mode de gestion controversé

Chaque fois que l'on constate des problèmes avec cette méthode, on prétend qu'elle n'a pas été appliquée dans le bon esprit et que cet outil ne doit pas être réduit à la seule volonté de diminuer les coûts, ce qui est exactement le cas ici avec les commissions scolaires concernées. N'empêche, même dans le monde manufacturier d'où il provient, ce mode de gestion soulève la controverse. Qu'on ne s'y trompe pas, le « lean management », c'est la gestion minceur. Autrement dit, il s'agit de faire plus avec moins. On connaît le refrain et aussi les piètres résultats...

«L'implantation de cette méthode dans les soins à domicile a mené au bord de la crise de nerfs les travailleuses et travailleurs sociaux, les ergothérapeutes et les infirmières et infirmiers responsables de ces interventions».

Une méthode aux effets pervers

L'implantation de cette méthode dans les soins à domicile a mené au bord de la crise de nerfs les travailleuses et travailleurs sociaux, les ergothérapeutes et les infirmières et infirmiers responsables de ces interventions. Pour améliorer la productivité de ce secteur, une firme multinationale, qui a reçu des millions de dollars pour ces services, a minuté chacun des actes posés par ces professionnelles et professionnels de la santé. Dès que les délais n'étaient pas respectés, ces derniers devaient en expliquer les motifs. Résultat? Déshumanisation des soins, épuisement du personnel et bureaucratisation du travail.

Une éthique professionnelle à préserver

Il paraît pourtant évident que les interventions auprès des patients souffrant de problèmes de santé divers ne peuvent pas toutes être comptabilisées de la même manière. Il y a un jugement à porter en fonction de l'état physiologique et psychologique du patient en conformité avec l'éthique professionnelle. Comme le rappelait avec à-propos le professeur Angelo Soares de l'école de gestion de l'UQAM lors d'un colloque sur la méthode « lean » : « certaines choses sont incommensurables (présence, empathie, sollicitude, émotions, amours) mais non moins essentielles ». Les effets pervers de la méthode « lean » étant largement documentés, on se demande pourquoi certaines commissions scolaires choisissent de se lancer dans cette aventure risquée.

Albert Einstein a soutenu que « ce qui compte vraiment ne peut pas toujours être compté et ce qui peut être compté ne compte pas forcément ». Cette sage affirmation devrait donner matière à réflexion aux gestionnaires de l'éducation qui s'apprête, peut-être, à emprunter les mêmes sentiers minés que leurs collègues du réseau de la santé et des services sociaux. Pour notre part, soyez-en assurés, nous allons suivre avec beaucoup d'attention l'impact de l'implantation de cette méthode de gestion contestable sur la qualité des services offerts et sur les conditions de travail de nos membres.

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