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Ma petite visite dans ce salon funéraire m'aura montré l'importance et la difficulté de la vulnérabilité de nos conditions et même la vulnérabilité de nos conversations.
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Il y a là une étonnante mise en scène propulsant une volonté politique à étendre un supposé droit à mourir sur commande.
servetdemir2014
Il y a là une étonnante mise en scène propulsant une volonté politique à étendre un supposé droit à mourir sur commande.

Cette semaine, je suis allé rendre visite à une veuve et à sa famille. Ils étaient réunis autour de la dépouille d'un mari et d'un père aimant. Ils n'avaient rien à donner, je n'avais rien à offrir. Nous n'avions que nos vulnérabilités en partage.

C'est une expérience riche et complexe, la rencontre aux funérailles. Malaises, maladresse et solidarité composent la palette des émotions vécues autour des temps de la fin de vie. Pourquoi ? Nous sommes une espèce mortelle, extrêmement fragile et le hic, nous le savons!

Truisme et évidence! Oui, mais non.

Notre fragilité est un état. Nul n'y échappe. Nous sommes de la graine de roseau se plaisait à nous comparer Blaise Pascal. L'analogie est belle. Les funérailles nous rappellent le mandat de notre existence : savoir plier pour ne pas casser!

Mais pour cela, l'auteur des Pensées, s'empressait d'ajouter que nous sommes des roseaux qui pensent! Une part importante de notre dignité consiste à affronter la pensée de notre finitude. Nous sommes tous périssables, mais nous n'acceptons pas d'emblée notre vulnérabilité. Celle-ci est affaire de relation.

C'est la raison pour laquelle les réunions en famille et avec les amis sont si importantes en fin de vie et après le décès. Notre vulnérabilité partagée est le sel de la réflexion qui humanise.

À ce propos, le soir de la visite, le frère du défunt m'a raconté ses derniers moments. Il y a eu un week-end avec toute la famille réunie dans le chalet d'un des enfants. C'était une rencontre festive. Quand le temps d'une personne est compté, les heures comptent et il parait que cette fin de semaine a été formidable. Puis, il y a eu l'hospitalisation pour le dernier séjour. C'est un temps dramatique où l'entrée elle-même est sous tension tragique. On entend le renard de la fable dire au lion, tapis dans sa tanière : « Les empreintes de pas sur la poussière pointent vers l'antre, mais aucune ne marque le retour ! »

Il a choisi de ne pas mettre un terme à son existence, mais d'aller vers le terme comme à une rencontre impromptue, une ouverture pour assumer la vulnérabilité façonnant son humanité.

Installé sur son lit de mort, le papa a tracé sa route vers la fin en compagnie des siens. C'est une occasion précieuse au partage des vulnérabilités. Dans l'intimité de sa chambre, le corps ravagé et abimé par la maladie, ce père a été préoccupé par le lègue intangible à laisser à son épouse, ses enfants et ses amis. Il a choisi de mourir à la fin de sa vie, sans anticipation, sans précipitation, jusqu'au bout. Il a choisi de ne pas mettre un terme à son existence, mais d'aller vers le terme comme à une rencontre impromptue, une ouverture pour assumer la vulnérabilité façonnant son humanité.

Ce papa était inquiet de certaines conversations, où, sans mauvaises intentions, tel ou tel invoquait un possible recours à l'aide médicale à mourir : «C'est permis par la loi après tout, c'est un geste de compassion, c'est pour le mieux, il n'y a pas de raison de continuer d'avoir mal...» Cet homme sage a compris le malaise inévitable de la situation des liens humains en fin de vie. C'est le choc de la rencontre de nos vulnérabilités. La conscience aiguë de notre fragilité, exacerbée par celle du corps et de l'état général du moribond, nous trouve stupéfaits. Cela nous expose à toute sorte de méprises ou de malentendus. On veut le bien, mais notre souhait ne correspond pas obligatoirement à ce qui convient dans les circonstances. Alors peut-être vaut-il la peine de prendre tout le temps qu'il faut pour quitter ce monde? Les douleurs du corps étant apaisées, la douleur de partir et celle de ceux qui ont assisté son départ ne sauraient être évitées. C'est peut-être là, le lieu véritable du bien, comme du bienfait pour la communauté des vulnérables ?

Loin de moi l'idée de juger ceux et celles qui recourent à l'euthanasie pour mettre fin à leurs jours dans notre Québec si évolué, je n'ai pas droit de regard sur les âmes et les consciences. Mais je ne peux pas me résoudre à soutenir qu'il y a là la marque d'un acte à la mesure de notre humanité.

En songeant à cette visite au salon funéraire, je me suis rappelé que la très grande majorité des acteurs du monde des soins palliatifs sont toujours réticents à l'aide médicale à mourir. Je reste étonné du battage médiatique actuel vantant les mérites de cette pratique, se plaignant de ses limitations d'applications et misant sur une pléthore de témoignages convergents à célébrer cette nouvelle forme de mort contrôlée. Étrange paradoxe!

Il y a là une étonnante mise en scène propulsant une volonté politique à étendre un supposé droit à mourir sur commande. Quel en est le moteur ? Quels sont les intérêts visés ? À qui cela profite-t-il réellement ? Je ne sais pas. Mais en tous cas, ma petite visite dans ce salon funéraire m'aura montré l'importance et la difficulté de la vulnérabilité de nos conditions et même la vulnérabilité de nos conversations.

Celui qui pénètre dans la tanière du lion pour y mourir entraine avec lui ceux qui l'accompagnent. S'il n'y a pas de traces qui sortent, c'est peut-être que l'expérience les a fait mourir un peu également. C'est dire, personne n'en sort indemne. C'est déprimant direz-vous ? Peut-être pas. Mais, c'est certainement déterminant! Cela affecte la suite des choses pour tous les survivants, pour le meilleur et pour le pire.

La façon de mourir de cet époux et père aura ses répercussions dans la manière de vivre et de mourir de son épouse et de ses enfants. C'est vrai pour vous comme pour moi et je lui sais gré de me le rappeler.

Avril 2018

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