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L'Halloween au temps des petits bourgeois

Les enfants n'auront pas de fête d'Halloween dans certaines écoles. Je vais vous dire, moi, ce qui devrait faire scandale. Durant les premières semaines de l'année scolaire, nous n'avions pas de collation à offrir aux jeunes.
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On a tous vu passer ce «scandale» dans les nouvelles. Les enfants n'auront pas de fête d'Halloween dans certaines écoles. Eh ben. Ça y est. Le système d'éducation québécois est réellement en danger. La fête d'Halloween est gâchée. Des milliers d'enfants à travers la province sont donc pris en otage et leur futur devient maintenant incertain et probablement qu'il sera désormais teinté d'un traumatisme irréversible. Sacrament.

Je vais vous dire, moi, ce qui devrait faire scandale.

Durant les deux premières semaines de cette année scolaire, nous n'avions pas de collation à offrir aux jeunes de mon école. Étant en milieu défavorisé, une grande partie de mes élèves était donc assise le ventre vide à essayer d'assimiler de la nouvelle matière. Puis, deux semaines plus tard, des collations ont commencé à arriver. On m'a alors informé que ces collations provenaient d'organismes communautaires du quartier. Donc voilà. Nous nous rabattons sur la charité de la population pour pouvoir remplir le ventre de nos enfants.

Mais ton kid pourra pas se déguiser en vampire à l'école.

L'an dernier, j'enseignais en soutien linguistique dans une école de Montréal, dans un milieu assez multiethnique. J'étais la seule ressource pour les élèves qui ne comprenaient pas ce que leur prof leur disait. Une immense partie des élèves de cette école ne parlait pas français à la maison, et le seul lien qu'ils entretenaient avec la langue française était à l'école. Mais j'étais le seul à offrir un soutien linguistique. Et je n'étais là qu'une journée par semaine. Et je devais subvenir aux besoins d'une vingtaine d'élèves, ceux jugés «prioritaires». Les autres, c'était pas grave. Ils «passaient».

Mais ton kid pourra pas développer cinq caries cette année parce que son enseignant veut pas lui acheter des jujubes.

Il y a quelques années déjà, je complétais mon stage 4, le dernier stage avant d'avoir mon brevet. Ce stage où l'étudiant prend en charge une classe à 100% pendant quelques mois. Je corrigeais donc, je planifiais le soir, j'assistais aux rencontres du personnel, etc. Tout ça, sans ramasser le moindre sou. J'étais un bénévole pour l'État. J'étais même plus qu'un bénévole, puisque je payais 9 crédits pour accéder à ce prestigieux titre de bénévole. «Mais là, les prêts et bourses... T'en avais pas?» Non. Parce que figurez-vous qu'avec 9 crédits, un étudiant n'est pas considéré à temps plein et n'a donc pas droit à de l'aide du gouvernement. Bénévole à temps plein, sans même gagner un simple salaire de crève-faim.

Mais ton kid pourra pas se trouver original avec son costume de citrouille acheté ben trop cher pour ce que c'est.

Dans Hochelaga-Maisonneuve, trois écoles primaires sont présentement fermées, relocalisées et entassées dans des recoins inutilisés d'écoles secondaires toutes aussi douteuses en termes de salubrité. Les élèves prennent l'autobus tous les matins parce qu'ils ne peuvent plus marcher jusqu'à leur école. Les parents doivent adapter leur horaire en fonction de pouvoir aller chercher leur enfant à l'arrêt de bus. Parlant de bus, on octroie des millions pour un abribus interactif, mais on refuse un toit vert à l'école Saint-Gérard.

Mais ton kid pourra pas pogner des poux en échangeant de perruque avec son best buddy.

Autour de 20% des enseignants décrochent lors de leurs cinq premières années d'enseignement. Pourquoi vous pensez? On nous empêche d'enseigner en nous imposant des tâches ridicules. On assiste à des comités, à des réunions, on doit répondre de nos actes devant les parents, les directions, le grand public. On planifie, finalement, quand on a le temps, donc, des fois, quinze minutes avant le début de la journée. On nous crache au visage quand on ose crier un peu trop fort que ton kid n'a pas les services adéquats à sa réussite, sous prétexte qu'on lui brise les tympans. On essaie tant bien que mal d'offrir le même service aux trois élèves qui sont en train de démonter leur bureau qu'à ton kid qui réussit bien en maths et qui pourrait aller plus loin que ce qu'on lui montre à l'école. On patauge dans l'incertitude de savoir si l'an prochain on aura un contrat à temps plein ou une simple queue de tâche laissée par un autre enseignant en burnout.

Mais ton kid pourra pas se vanter d'avoir gagné le bingo annuel d'Halloween de son école.

Et puis oui, moi aussi je trouve ça niaiseux qu'on interdise aux enfants de se déguiser. Ça ne change aucunement ma planification de devoir enseigner à trois clowns, cinq pikachus et huit princesses de Frozen. Mais quand tu en fais ton cheval de bataille et que tu en es à t'insurger du fait qu'il n'y aura pas d'activité spéciale le 30 octobre (qui n'est pas la date d'Halloween, en passant), relativise un peu. C'est peut-être que tu baignes dans un peu trop de privilèges et qu'ils te crèvent les yeux. Si tu tiens tant que ça à ce que ton kid se pitche dans une piscine de fudge le 30 octobre, va l'organiser le party. En tant qu'enseignant en début de carrière qui découvre les «tâches connexes» imposées par le ministère, je t'assure que ton implication bénévole serait la bienvenue.

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