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J’ai été agressée sexuellement pendant mon sommeil à bord d’un avion, et voici comment j’ai réagi

«J'ai senti une main se faufiler sous ma couverture et se poser sur ma cuisse. Ma voix s'est étranglée dans ma gorge. J'étais incapable de bouger. Je me sentais paralysée.»
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Swell Media via Getty Images

Le 17 juillet 2018 à l'aube, à 12 km au-dessus des Grands Lacs, je me suis réveillée, victime d'une agression sexuelle.

J'avais pris un vol de nuit Los Angeles-New York avec ma sœur, mon beau-frère et ma nièce pour passer quelques jours en famille à Manhattan. Je n'étais pas assise à côté d'eux car j'avais pris mon billet séparément, mais ça m'était égal, puisque j'avais l'intention de dormir pendant tout le trajet.

En montant à bord, j'ai découvert que j'avais non seulement le siège du milieu – la moins bonne place – mais que j'étais en plus à côté du cauchemar de tout voyageur épuisé: un passager bavard.

Il semblait inoffensif: la cinquantaine, blanc, bien habillé. Mais dès que je me suis assise, il s'est mis à parler. Sans avoir rien demandé, j'ai appris qu'il se rendait à New York pour rejoindre sa femme et ses deux petites filles et qu'il n'arrivait jamais à dormir en avion.

J'ai répliqué que, pour ma part, j'y arrivais très bien et, dans l'espoir qu'il comprenne le message, je me suis emmitouflée dans ma veste et lui ai annoncé que je comptais dormir pendant tout le vol parce que j'étais épuisée. Y a-t-il un autre moyen de demander poliment à quelqu'un de vous laisser tranquille alors que vous allez passer les cinq prochaines heures côte à côte?

Malheureusement, ma réponse a déclenché une véritable logorrhée.

"C'est votre trajet d'aller ou de retour? D'où êtes-vous? Pourquoi êtes-vous si fatiguée? Vous avez froid?"

J'ai donc continué à parler à bâtons rompus de moi, mon mari, mes voyages, et mes études dans le domaine de la santé mentale. Je n'arrêtais pas de bailler mais il avait clairement envie de poursuivre la conversation.

Nous nous sommes interrompus au moment du décollage à cause du bruit des moteurs, et je me suis laissée aller au sommeil. Quand je me suis réveillée, mon voisin était en train de parler à l'hôtesse. Il m'avait acheté deux couvertures. J'ai essayé de le rembourser, mais il a refusé et insisté pour que je les prenne.

Son geste m'a mise mal à l'aise, mais j'ai voulu croire qu'il essayait simplement d'être gentil. Je l'ai remercié et me suis sentie obligée de continuer à bavarder avec lui jusqu'à ce que les lumières s'éteignent et qu'un autre passager lui demande de se taire. J'en ai profité pour me pelotonner sous les couvertures et m'endormir profondément.

Plusieurs heures plus tard, je me suis réveillée en sentant qu'on me touchait. Ma combinaison avait dû se retrousser dans mon sommeil car je sentais des doigts caresser la peau nue de ma cuisse droite, sous la couverture. Je n'arrivais pas à déterminer si l'homme assis à ma droite, celui avec qui j'avais discuté un peu plus tôt, était en train de ronfler ou de respirer fort. J'étais encore à moitié endormie et, dans l'espoir qu'il s'agisse d'un accident dû à la proximité des sièges, je n'ai rien dit et me suis contentée de bouger légèrement. Il a aussitôt retiré ses doigts, mais je suis restée éveillée en retenant mon souffle.

Il a bégayé: "Désolé, je n'étais pas sûr mais vous aviez l'air partante." Il a fermé les yeux et détourné la tête.

Au bout de quelques minutes, j'ai senti à nouveau une main se faufiler sous ma couverture et se poser sur ma cuisse.

Ma voix s'est étranglée dans ma gorge. J'étais incapable de bouger. Je me sentais paralysée. J'avais retenu mon souffle pendant si longtemps que je n'arrivais plus à respirer.

Mais pendant ces quelques secondes de sidération, la main s'est mise à monter plus haut sur ma cuisse, jusqu'à ce que je fasse un effort sur moi-même pour la repousser.

J'ai rejeté mes couvertures et je me suis tournée vers mon agresseur, toujours incapable de prononcer un mot tant j'étais choquée. L'homme était bien éveillé et il a bégayé: "Désolé, je n'étais pas sûr mais vous aviez l'air partante." Il a fermé les yeux et détourné la tête.

Il faisait sombre et tout était silencieux. Tous les autres passagers dormaient, y compris mon agresseur, que j'entendais de nouveau ronfler (ou faire semblant de ronfler). J'ai envisagé d'alerter quelqu'un, mais je me sentais prisonnière de mon siège du milieu et de mes pensées: comment avait-il pu croire que j'étais intéressée par lui? Était-ce parce que j'avais accepté les couvertures? Était-ce de ma faute? Que faire à présent? Allait-on me demander pourquoi j'étais restée figée sur place ou n'avais pas eu le courage de crier au moment fatidique? Avais-je trop attendu? Et si j'appuyais sur le bouton pour appeler l'hôtesse? Non, parce que je serais obligée de parler, et s'il m'entendait...

J'étais incapable de parler, mais je pouvais écrire. J'ai sorti mon téléphone et fait la seule chose qui me semblait envisageable en cet instant: j'ai écrit et écrit jusqu'à ce que l'avion amorce son atterrissage. L'homme s'est réveillé mais il n'a pas quitté son siège. Plus frustrant et plus incroyable encore, il s'est remis à me parler comme si de rien n'était, mais j'ai refusé de lui répondre.

Heureusement, la femme assise à ma gauche, qui avait passé tout le vol à dormir avec des boules Quies, venait de se réveiller. J'ai fait semblant de regarder par le hublot et posé mon téléphone sur l'accoudoir entre elle et moi. Quand nos yeux se sont croisés, je lui ai fait signe de prendre mon téléphone.

Elle a lu ce que j'avais écrit, l'air horrifiée. Elle a hoché la tête en réponse à mon silencieux appel au secours et a attendu avec moi que l'homme ait quitté l'avion. Puis elle m'a escortée jusqu'à l'hôtesse la plus proche en faisant rempart contre le flot des autres passagers qui descendaient.

Il m'avait pelotée. C'était un prédateur. Mais il avait une femme et des enfants. Est-ce que cela valait la peine de briser leur vie?

J'ai essayé péniblement de prononcer mes toutes premières paroles depuis le moment où je m'étais endormie.

"Je me suis réveillée... Le type à côté de moi... était en train de me peloter", ai-je murmuré. Je me suis mise à pleurer.

L'équipage a pris les choses en main en alertant immédiatement la sécurité de l'aéroport pour faire appréhender mon agresseur. J'ai rejoint ma sœur et nous sommes descendues de l'avion. Un agent de sécurité nous attendait. Il m'a demandé sans ménagement ma déposition, une description de l'homme, et une pièce d'identité. Je lui ai aussi montré une courte vidéo assez sombre que j'avais faite de l'homme juste avant qu'il ne quitte l'avion.

L'agent m'a demandé si je voulais porter plainte. Je me sentais complètement déboussolée et je me suis remise à pleurer.

Il m'avait pelotée. C'était un prédateur. Mais il avait une femme et des enfants. Est-ce que cela valait la peine de briser leur vie? Et de gâcher les vacances de ma sœur? Serait-ce égoïste de raconter ce qui s'était passé à mon mari, mes parents, mes amis? Je ne voulais pas leur faire de peine. Mais je ne pouvais pas non plus garder ça pour moi.

J'ai eu peur que mes sanglots réveillent ma nièce de quatre ans qui dormait paisiblement dans sa poussette. Et là, je me suis dit: est-ce que c'est ce qui l'attend elle aussi?

J'ai pleuré pour elle. J'ai pleuré pour moi. J'ai pleuré parce que j'avais été tripotée dans l'avion. Lourdement draguée à Londres. Suivie dans la rue à Paris. Sifflée à Beyrouth. J'ai pleuré parce que j'avais gardé le silence jusqu'ici et que j'avais l'impression d'avoir été trahie à la fois par la société et par ma passivité au moment de l'agression.

Et j'ai pleuré pour toutes les femmes qui éprouvaient la même chose et toutes celles qui risquaient de l'éprouver un jour.

"Oui. Moi aussi", ai-je sangloté. "Moi aussi, moi aussi, moi aussi, moi aussi!" Je suis restée assise, recroquevillée sur moi-même, à me balancer d'avant en arrière en répétant comme un mantra ces mots que j'avais entendus si souvent l'an dernier mais n'avais jamais eu le courage de prononcer moi-même. J'avais tourné le dos au passé pendant bien trop longtemps.

J'étais endormie. Je n'avais jamais consenti à ce que cet homme me touche. "Je veux porter plainte", ai-je enfin décidé.

***

C'était il y a deux semaines. Malheureusement, mon agresseur a réussi à quitter l'aéroport sans être repéré par la sécurité. La police m'a dit que l'équipage de l'avion avait accepté de coopérer en leur donnant les coordonnées du passager et que le FBI et la TSA, l'agence nationale chargée de la sécurité dans les transports, allaient être informés de l'incident. J'ai envoyé deux mails à la compagnie aérienne la semaine suivante, mais je n'ai eu aucune réponse ni aucune nouvelle d'un quelconque organisme officiel depuis.

J'ai pleuré pour toutes les femmes qui éprouvaient la même chose et toutes celles qui risquaient de l'éprouver un jour.

J'ai écourté mon séjour à New York pour me laisser le temps de me remettre, mais je compte toujours prendre l'avion seule pour me rendre en Angleterre le mois prochain, puis retourner en Chine. Cette agression m'a rendue plus forte, parce que j'ai fait quelque chose qui, je pense, est tout aussi courageux que de réagir immédiatement: j'ai retrouvé ma voix et parlé quand je me suis sentie prête à le faire.

Cela m'a pris du temps, mais c'était sans importance aux yeux de l'hôtesse qui m'a serrée dans ses bras, du policier qui m'a remerciée, ou de mon mari qui m'a soutenue. Leur raconter mon histoire ne l'a pas rendue moins douloureuse mais, au moins, j'ai osé en parler.

Quelques heures avant mon départ de New York, j'ai eu la chance de pouvoir assister à la comédie musicale Mean Girls. Et, soudain, sans que je m'y attende, j'ai eu l'impression qu'une des chansons s'adressait directement à moi:

Les filles font

Ce qu'elles ont à faire

Je l'ai fait pour moi, c'est sûr

Mais surtout pour toi!

Pour que, toi aussi, tu puisses vivre sans peur

Imagine: ne plus avoir peur!

Le message était clair: se défendre contre un prédateur, surtout avec lequel on a pris l'habitude d'être gentille, ce n'est pas faire preuve de méchanceté. C'est montrer que l'on n'a pas peur.

Ces mots-là me font espérer que ma nièce grandira dans un monde où #MeToo ne sera plus d'actualité. Ils me font espérer que plus jamais je ne resterai silencieuse. Et que mon histoire pourra aider ne serait-ce qu'une seule autre femme à retrouver elle aussi sa voix.

Ce blogue, publié à l'origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast for Word.

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