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Notre fille a été victime d'un tueur en série, et nous devons 203 000 $ à son armurier

À titre de parents, nous trouvons épouvantable qu'une personne souffrant de graves troubles mentaux puisse acheter un chargeur de 100 balles et 4000 cartouches perforantes par Internet sans même présenter une pièce d'identité. Pourquoi est-il interdit de poursuivre des commerçants aussi peu scrupuleux? Comment allons-nous, en tant que citoyens, les empêcher de faciliter de tels carnages?
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La poursuite que nous avons intentée contre Lucky Gunner a provoqué de vives réactions lorsque l'animatrice Rachel Maddow en a fait mention. Plusieurs téléspectateurs ont demandé pourquoi nous devons rembourser les frais juridiques du commerçant qui a vendu les armes ayant tué notre fille Jessica et 11 autres personnes dans un cinéma du Colorado.

Avant de répondre à cette question, il convient de rappeler que nous avons intenté cette poursuite parce que nous étions scandalisés qu'un armurier vende des munitions sans mener d'enquête au préalable. Le modèle d'affaires de ces entreprises consiste à laisser n'importe quel individu s'armer jusqu'aux dents en quelques clics de souris. C'est ce que nous voulions changer, et c'est ce que nous voulons encore changer aujourd'hui.

Des avocats de la firme Arnold and Porter et du Centre Brady ont décidé de nous appuyer bénévolement. Nous étions au courant du risque que nous prenions. Nous savions que l'État du Colorado et le Congrès américain accordent une protection spéciale à l'industrie des armes à feu, et que notre poursuite pourrait être rejetée avec dépens.

Nous avons quand même décidé de livrer bataille dans l'espoir que d'autres familles ne souffrent pas comme nous avons souffert. Nous n'avons jamais cherché à obtenir de compensation pour la perte de notre fille. Tout ce que nous souhaitions était une injonction ordonnant aux armuriers d'agir avec prudence au moment de vendre des chargeurs de 100 balles, des vestes pare-balles ou du gaz lacrymogène.

Le juge a rejeté notre plainte sous prétexte que les armuriers en ligne sont exemptés de leur devoir de diligence en vertu de la Loi fédérale de protection du commerce légal des armes. Par ailleurs, une loi du Colorado stipule que les plaintes au civil doivent donner lieu à des dommages-intérêts lorsqu'elles sont rejetées.

Mises ensemble, ces deux lois empêchent toute forme de contestation de la réglementation sur les armes à feu au Colorado. Autrement dit, tous les citoyens ont un devoir de diligence raisonnable envers autrui, sauf les vendeurs de munitions ! Comme si ce n'était pas assez scandaleux, le juge nous a ordonné de payer 203 000 $ pour couvrir les frais juridiques du défendeur. Cette somme est démesurée, puisque notre requête a été rejetée d'emblée !

De plus, Lucky Gunner a promis de verser cette somme à des groupes de défense des « droits » des propriétaires d'armes à feu plutôt que l'utiliser pour rembourser ses avocats. Cet armurier compte sur l'argent du sang pour financer la NRA et d'autres groupes de pression similaires. Jugez-en par vous-même sur le site de Lucky Gunner, et cliquez ici pour voir le résultat du vote qui a décidé de la répartition du butin.

La loi exige que nous assumions ces frais, et nous le reconnaissons. Or, nous n'avons pas 203 000 $ à notre disposition, ce qui condamne le Centre Brady à les rembourser solidairement à titre de partie plaignante. Si cette mesure était destinée à semer la bisbille, sachez que cela n'a pas fonctionné. Le Centre Brady continuera de nous représenter bénévolement et d'appuyer notre levée de fonds, le cas échéant.

Nous croyons que la décision du juge est immorale et qu'il est inconstitutionnel de punir des citoyens qui intentent une poursuite d'intérêt public de manière désintéressée. Mais plutôt que courir le risque d'être déboutés en cour d'appel (et de payer des dommages-intérêts supplémentaires), nous avons changé de tactique et allons mener notre combat sur le terrain législatif. À cet effet, nous pouvons maintenant compter sur l'avocat Dan Wartell, du cabinet Jones & Keller.

Nous espérons lancer un mouvement de masse pour abroger les lois qui vont à l'encontre de nos libertés civiles et accordent une immunité absolue à l'industrie de l'armement. Faut-il rappeler que notre Jessi a été touchée à plusieurs reprises par des projectiles perforants de calibre militaire?

L'une des six balles gainées d'acier a traversé un siège, créé une ouverture de cinq pouces à la hauteur de son œil gauche et répandu son cerveau sur le plancher du cinéma. Les cinq autres balles tournoyantes ont causé un maximum de dommages à ses jambes, ses bras et ses intestins. Et pourtant, il ne s'agit que de six balles parmi les 4000 que Lucky Gunner a vendues au tueur sans même vérifier son permis de conduire.

Pourquoi est-il interdit de poursuivre des commerçants aussi peu scrupuleux? Comment allons-nous, en tant que citoyens, les empêcher de faciliter de tels carnages?

La tuerie d'Aurora nous a donné l'opportunité de sensibiliser la population à l'épidémie de violence armée qui touche notre pays. Il est inconcevable que le lobby milliardaire des armes à feu puisse intimider le Congrès et les assemblées législatives de plusieurs États afin que ceux-ci accordent l'immunité à une industrie qui équipe des tueurs en série et des terroristes à des fins lucratives.

À titre de parents, nous trouvons épouvantable qu'une personne souffrant de graves troubles mentaux puisse acheter un chargeur de 100 balles et 4000 cartouches perforantes par Internet sans même présenter une pièce d'identité.

Les armuriers sont la dernière ligne de défense pouvant protéger nos enfants contre l'utilisation d'équipement de calibre militaire. Or, ceux-ci s'abstiennent de prendre les mesures de sécurité minimales en toute connaissance de cause.

Dans certains États, il est encore possible de créer un précédent juridique qui contraindra les armuriers à assumer les conséquences de leurs gestes. Mais nous comptons désormais utiliser une autre tactique, qui consiste à convaincre les élus de lever l'immunité accordée à ces marchands de mort.

Nous lançons un appel à l'aide à toutes les personnes et à tous les organismes intéressés, afin que nous puissions faire les pressions nécessaires et redonner aux citoyens les droits dont ils ont été privés.

***

Lonnie et Sandy Phillips ont perdu leur fille Jessica Ghawi dans le massacre qui a eu lieu le 20 juillet 2012 à Aurora, au Colorado. Depuis ce temps, M. et Mme Phillips militent pour changer les lois sur les armes à feu. Leur organisme à but non lucratif, Jessi's Message, sert à financer leurs déplacements aux quatre coins des États-Unis ainsi que leur appui aux victimes d'actes de violence armée.

Ce billet de blogue initialement publié sur le HuffingtonPost.com a été traduit de l'américain par Pierre-Étienne Paradis.

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