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La Guerre des Gaules, texte de propagande? Astérix en renfort des archéologues

Chaque nouvelle aventure du plus célèbre des Gaulois (plus que Vercingétorix ?) réjouit tous les afficionados de la série, au nombre desquels il faut compter de nombreux archéologues et historiens. Ce serait vraiment du snobisme mal placé que de bouder cet événement.
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Chaque nouvelle aventure du plus célèbre des Gaulois (plus que Vercingétorix ?) réjouit tous les aficionados de la série, au nombre desquels il faut compter de nombreux archéologues et historiens. Ce serait vraiment du snobisme mal placé que de bouder cet événement, surtout pour moi qui suis tombé jeune dans le chaudron et dont la vocation a été suscitée par les héros de Goscinnny et d'Uderzo (un faible pour Astérix chez les Goths, pour son côté vintage !). Les pérégrinations d'Astérix, d'Obélix et d'Idéfix constituent un socle commun de connaissance partagé avec le grand public duquel il ne faut pas se couper. La belle exposition présentée au museo-parc d'Alésia jusqu'au 30 novembre s'appuie précisément sur les "erreurs" historiques de la BD pour mieux faire connaître la Gaule de la fin de l'âge du Fer, à l'orée de la Conquête romaine.

La Guerre des Gaules, une série de campagnes militaires menées par César en Gaule entre 58 et 52 avant J.-C., joue un rôle central dans ce nouvel album. Alésia, une des batailles majeures de cette longue guerre, constitue un des moments clés de l'entreprise césarienne, qui voit la défaite d'une importante armée de coalition gauloise et par la suite la soumission de la Gaule. Le duo Conrad-Ferri, qui a repris le flambeau il y a deux ans avec un premier épisode chez les Pictes, joue cette fois habilement de la question de l'écriture de l'histoire. César doit-il écrire ou non, dans ses commentaires sur la Guerre des Gaules, qu'il a conquis toute la Gaule, sauf un petit village qui résiste ardemment à l'envahisseur ? Pour l'archéologue de la période gauloise, cette thématique résonne doublement avec sa pratique quotidienne. Ce thème renvoie en effet directement aux sources qui lui permettent d'étudier cette époque et d'écrire une partie de son histoire. Elles sont constituées de vestiges du sous-sol souvent faits de structures en creux peu spectaculaires et pas de textes de première main rédigés par des Gaulois (ceux-ci n'ayant jamais écrit leur propre histoire les seuls textes à disposition sont ceux des vainqueurs, Grecs ou Romains). Le thème de l'écriture de l'histoire fait aussi écho à l'archéologie comme discipline. Celle-ci doit encore trop souvent prouver aux historiens que les sources matérielles sur lesquelles elle repose apportent des informations complémentaires à celles des textes, dont on sait qu'ils servent des enjeux politiques et personnels qui n'en font pas de banales descriptions objectives des évènements du passé. Ce dernier point est particulièrement vrai du texte de César, qui n'est pas un texte d'historien, mais le récit orienté d'un général en campagne militaire et électorale, soucieux de justifier auprès du Sénat romain le bien-fondé de son action en Gaule et la "barbarie" de ses ennemis gaulois. Parce qu'il est un Autre, parce qu'il menace l'équilibre des forces au nord des Alpes et sur la frontière romaine de la Gaule Transalpine conquise en 120 avant J.-C., le Gaulois de "Gaule chevelue" (la Gallia Comata des Romains) ne mérite qu'une seule chose : être conquis par Rome. Michel Rambaud (1) et d'autres après lui, ont montré comment César, sous couvert de la description d'un simple enchaînement des événements et des opérations militaires en Gaule, organise son récit de manière à en faire une implacable démonstration de la nécessité absolue de conquérir toute la Gaule ; un texte de propagande qui fait accessoirement du général, un héros.

Parce qu'il est le seul à nous faire un récit au plus près des opérations, le texte de César a acquis un statut d'objectivité que les historiens rechignent parfois à critiquer (au sens d'une critique tant philologique que socio-politique et historiographique)... De voir ainsi dans le nouvel album d'Astérix les "coulisses" de l'un des textes les plus célèbres de l'histoire de France (et de Suisse, d'Allemagne de l'ouest et Belgique si on prend en compte l'étendue réelle de la Gaule chevelue conquise par César) est donc plutôt réjouissant. Le texte de César (livres I à VII) est d'abord une vaste entreprise de communication, qui n'est pas rédigée sur le terrain au plus près des batailles et des déplacements des troupes, mais dictée et retravaillée pendant l'automne 52 à Bibracte. Pas étonnant que son plus fidèle conseiller Promoplus - le méchant de ce 36ème album - lui recommande (selon Conrad et Ferri) de ne pas faire figurer dans son texte le passage sur un village d'irréductibles gaulois...

Inutile donc de dire à quel point l'utilisation des textes antiques doit se faire avec la plus grande prudence. Comme les découvertes archéologiques, il convient de les prendre pour ce qu'ils sont, des sources incomplètes qui doivent nécessairement être confrontées à d'autres avant de faire des interprétations plus larges. Le dernier Astérix entre ainsi en résonnance (et gageons que ce n'est pas un hasard) avec le sempiternel débat sur la localisation du site d'Alésia. D'un côté le site d'Alise-Sainte-Reine en Côté d'Or, identifié dès les fouilles commandées par Napoléon III comme le meilleur candidat pour être le site de la bataille, de l'autre celui de la Chaux-des-Crotenay dans le Jura. Sur le premier de nombreux témoignages archéologiques (fossés, trous de poteaux de tours et de palissades, restes de pièges et armement, monnaies), sur l'autre essentiellement une adéquation entre le paysage actuel et la description du site par César. Récemment, Franck Ferrand a pris ardemment la défense du site jurassien, préfaçant un ouvrage de Danielle Porte, élève d'André Berthier, qui, depuis 1962, propose de situer la bataille à la Chaux-des-Crotenay. Il serait trop long de développer ici les arguments des uns et des autres ; c'est le raisonnement pour critiquer l'approche des archéologues qui nous intéresse ici : "Le point faible le plus criant d'Alise-Sainte-Reine réside dans l'absence à peu près totale de concordance, in situ, avec le texte de César. C'est la raison pour laquelle, relativisant la valeur même de La Guerre des Gaules - pourtant si précise en tout -, les tenants d'Alise ont constamment tenté de mettre en avant les fruits de diverses campagnes de fouilles archéologiques. Selon la formule consacrée : en Bourgogne, "la pioche a pris le pas sur la plume..." (2). Un siècle et demi après les premiers textes fondateurs, l'archéologie n'est donc - pour certains - pas encore une discipline à part entière. Mais qui alors ferait resurgir de l'oubli de l'histoire le "Gaulois moyen", celui qui n'a pas eu le privilège (ou la grande malchance...) de mourir sous l'épée des armées de César pour voir son nom inscrit à tout jamais sur un parchemin ? Qui mettrait au jour les établissements ruraux qui maillent le territoire largement exploité et entretenu par les Gaulois, avec les routes et le blé qui ont permis à César d'avancer si vite en Gaule ? Qui se remémorerait les pratiques cultuelles mises au jour sur les sanctuaires gaulois et les pratiques funéraires qui évoluent pendant les cinq siècles que durent le second âge du Fer (et pas seulement les 6 ans de la Guerre des Gaules auquel il est souvent réduit) ? Qui enfin saurait à quel point les artisans gaulois sont habiles à maîtriser les arts du feu, en particulier ceux des métaux ? Les textes ne lèvent qu'un tout petit coin du voile et nous renseignent plus sur la vie politique et sociale des Romains que celle des peuples qu'ils soumettent.

Ni l'archéologie ni les textes ne nous informent cependant sur Astérix (le plus célèbre des Gaulois rappelons-le), il faut donc s'en remettre à ses aventures et à ses deux nouveaux auteurs pour en apprendre un peu plus à chaque album. Sur ses liens avec la bataille d'Alésia par exemple, de nombreuses zones d'ombre subsistent... et le dernier album ne les lève pas. Si Astérix est sans âge, il est clairement plus jeune qu'Abraracourcix, le chef du village, qui a participé à la bataille d'Alésia. Dans l'épisode qui mène Astérix et Obélix sur les traces du bouclier ayant appartenu à Vercingétorix (Le bouclier Arverne, 1969), notre guerrier tente à plusieurs reprises de se renseigner sur la localisation d'Alésia afin de visiter le site (ce qui laisse supposer qu'il n'y est jamais allé lui-même et n'a donc pas combattu), comme il le fera finalement pour Gergovie. Il se heurte à une amnésie générale : tant Abraracourcix que d'autres hommes de la même génération ne se souviennent plus, ou plutôt ne veulent plus se souvenir, du lieu de la grande défaite de la Guerre des Gaules. Goscinny et Uderzo indiquent en note avec beaucoup de malice que cette attitude chauvine des Gaulois s'est perpétuée à travers les siècles, laissant planer un mystère sur l'emplacement de la bataille... Qu'importe le lieu exact pour les auteurs d'Astérix qui n'ont jamais cherché à faire de la pédagogie, la recherche du bouclier arverne leur permettra de battre une seconde fois César à Gergovie et de faire triompher les Gaulois devant ses yeux ébahis ! Sans avoir participé à la Guerre des Gaules, Astérix arrive ainsi malgré tout à battre César en 50 av. J.-C. (l'année à laquelle se passent ses aventures).

Nous n'apprendrons toutefois pas dans Le Papyrus de César ce que faisait Astérix pendant la Guerre des Gaules (à la longueur de sa moustache, on peut supposer qu'il n'était pas un enfant entre 58 et 52 avant J.-C.). Etait-il un "bon Gaulois" se battant contre les Romains ou a-t-il un passif plus trouble de connivence avec l'ennemi, à l'image de Vercingétorix lui-même, très vraisemblablement passé du statut d'hôte des romains au début du conflit, à celui de leur ennemi juré ? Réponse une prochaine fois, en attendant, ce qui compte le plus, c'est que César soit à nouveau battu!

  1. Michel Rambaud, La déformation historique chez César, Belles Lettres 1966.
  2. Danielle Porte (dir.), Franck Ferrand présente Alésia, la supercherie dévoilée, Pygmalion, Paris, 2014. Le passage cité est tiré de la préface de Franck Ferrand, p. 11.

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