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L'EI: et si Trudeau avait raison?

L'approche axée sur les solutions symboliques et à court terme du gouvernement actuel s'avère inefficace dans la région.
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Cela fait un peu plus d'un an maintenant que le groupe armé État islamique (EI), face aux bombardements de la coalition internationale et aux combats terrestres menés contre l'armée irakienne et les milices shiites, continue de démontrer une effrayante résistance et une capacité à contrôler les territoires qu'il a confisqués à ce pays.

Dans ce contexte, il devient de plus en plus difficile de déterminer quel rôle devrait jouer le Canada dans ladite coalition. Pourtant une chose est certaine : si les États-Unis et les autres grandes puissances pensent à changer leur stratégie, il serait peut-être temps pour Ottawa de réévaluer son rôle également.

Justin Trudeau, quant à lui, a affirmé que s'il est élu, il mettrait fin à la mission de combat contre l'EI. Cette déclaration a fait l'objet de sévères critiques notamment du côté des Conservateurs. Harper à lui-même qualifié cela d'un engagement complètement irresponsable. Mais, est-ce vraiment le cas? Et si Trudeau avait raison sur le fond?

Prenons donc du recul et réévaluons le rôle joué par le Canada jusqu'ici. En seulement quelques mois, le nombre de soldats canadiens présents sur le sol irakien est passé de 69 à plus de 600. Concrètement, nos troupes effectuent des frappes aériennes occasionnelles, entrainent des combattants kurdes (Peshmerga), tout en fournissant du support logistique aux forces de la coalition. Simultanément, notre voisin du sud a aussi augmenté son effectif militaire. Toutefois, l'EI continue d'accentuer son contrôle sur plusieurs parties du pays. En fait, les interventions occidentales dans cette région n'ont contribué qu'à accroitre un sentiment de méfiance au sein des populations locales à l'égard des intentions de l'occident. Ainsi, une plus grande présence militaire ne permettra pas de régler le problème de l'EI. Au contraire, celui-ci parvient à attirer maintenant des milliers de combattants étrangers venus de partout à travers le monde pour participer à l'établissement du Califat. À l'heure actuelle, l'Occident est en train de perdre cette guerre.

Une question alors s'impose : à quel point la nature de notre engagement actuel change-t-elle la dynamique en faveur de nos alliés? La réponse: très peu.

L'approche axée sur les solutions symboliques et à court terme du gouvernement actuel s'avère inefficace dans la région. Attention! Nous ne sommes pas pour autant en faveur d'une politique étrangère désengagée comme tentent de le faire croire les Conservateurs. Au contraire, nous favorisons une politique étrangère interventionniste certes, mais surtout capable de faire une réelle différence dans la vie de millions d'Irakiens tout en demeurant fidèles à l'identité canadienne sur la scène internationale.

Dans le passé, des décisions réfléchies nous ont évité une implication dans une guerre catastrophique en Irak. Le PCC aime se présenter comme étant le seul parti qui a le courage d'affronter Daech. Et pourtant, quelle contribution avons-nous réellement fait en livrant, occasionnellement, une « demie-guerre » du haut des airs? La vérité est que notre pays n'a démontré aucun leadership dans ce dossier.

Considéré comme une puissance moyenne traditionnelle, le Canada est intervenu à plusieurs occasions afin de résoudre différentes crises internationales. Cette idée implique l'adoption d'une diplomatie dite sélective en concentrant nos ressources dans des domaines spécifiques afin de maximiser le succès de nos politiques. Notre expertise en matière d'aide humanitaire, de maintien de la paix, et l'entrainement militaire est mondialement reconnue. Cependant, sous Harper, nous nous sommes éloignés de notre rôle traditionnel pour nous contenter d'un alignement symbolique avec nos alliés, dans une guerre jusqu'ici perdue par la coalition internationale.

On constate également que notre aide en Irak est principalement dirigée envers les Kurdes et qu'il n'existe qu'une coopération minime entre Ottawa et Bagdad. Or, les Kurdes déploient leurs forces pour défendre leurs territoires face à l'EI sans s'aventurer dans les zones contrôlées par ce dernier. Plusieurs experts voient même en cela une fenêtre d'opportunité pour l'élite kurde de déclarer son indépendance. Ainsi, réévaluer la nature de notre implication en Irak nous incite aussi à nous poser la question à savoir si, volontairement ou pas, nous sommes en train de contribuer à la création d'un État kurde indépendant, dans un contexte géopolitique déjà turbulent.

Parallèlement, les conservateurs tendent à renfermer le débat public en présentant cette mission de combat comme étant la seule solution possible. Évidemment, cela est faux. En fait, Trudeau a très bien saisi la nécessité d'aborder cette question en redirigeant notre implication vers l'aide humanitaire et l'entrainement militaire, des domaines où nous avons clairement un avantage comparativement aux autres membres de la coalition.

La triste réalité est que l'Irak est un état failli. Cela implique que peu importe le nombre de bombes que nous larguerons sur Daech, l'organisation demeurera puissante tant et aussi longtemps qu'une armée irakienne fonctionnelle ne verra pas le jour. Rappelons qu'il n'y a eu aucun effort sérieux de construire une armée irakienne depuis 2003. L'occident doit donc supporter Bagdad en lui fournissant de l'équipement militaire moderne, un support logistique et entrainer ses soldats. C'est à ce niveau que le Canada pourrait faire une contribution réelle.

Il est primordial de comprendre que c'est aux Irakiens de mener cette guerre. Ce pays a besoin d'un plan à long terme concernant la formation de ses services de sécurité. Tant que ce problème ne sera pas réglé, la structure de l'État demeurera fragile et donc vulnérable face aux actions de l'EI ou Al-Qaïda. Si à chaque occasion l'Irak doit se tourner vers l'occident afin de contrer ces menaces, cela perpétuera ce cercle vicieux d'interventions occidentales dans la région.

Également, d'un point de vue humanitaire, nous croyons que le Canada peut faire une réelle différence dans la vie de milliers d'Irakiens. En décembre dernier, Ali a visité Bagdad où il a été témoin des conditions précaires dans lesquelles vivaient les réfugiés. Des milliers de familles sont privées de soins de santé, d'assistance sociale et d'accès à des denrées alimentaires de base. Bien que le gouvernement irakien ait annoncé des mesures afin d'augmenter les fonds alloués pour venir en aide aux familles déplacées, les rapports indiquent que la situation ne s'est guère améliorée. En fait, Bagdad manque à la fois de fonds et de savoir-faire afin de traiter cette crise.

Enfin, une évaluation réaliste de nos capacités et de notre rôle traditionnel sur la scène internationale est nécessaire afin de formuler une politique étrangère efficace en Irak. Le gouvernement actuel n'a pas fait preuve de pragmatisme en traitant ce dossier de manière idéologique. La déclaration de Trudeau est donc réaliste et responsable compte tenu de nos moyens, notre expertise et notre identité.

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