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La dépendance sexuelle

La dépendance sexuelle est un thème difficile à aborder, car de puissants codes moraux mettent encore en doute l'existence d'une maladie liée aux excès de sexe.
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La dépendance sexuelle est un thème difficile à aborder, car de puissants codes moraux mettent encore en doute l'existence d'une maladie liée aux excès de sexe. Si depuis une dizaine d'années, le domaine médical reconnaît la réalité de cette pathologie avec notamment l'apparition du terme de dépendance sexuelle, dans l'imaginaire collectif les dérives sexuelles restent associées à un vice, une perversion. S'affranchir de toutes nos représentations ainsi que de tout jugement de valeur est nécessaire afin de tenter de comprendre ce qu'est réellement la dépendance au sexe.

La dépendance peut se définir comme « la perte de la liberté de s'abstenir ». Autrement dit, ce qui caractérise l'addict c'est le fait d'être esclave d'un produit ou d'un comportement. Dans la dépendance sexuelle, la consultation frénétique de sites pornographiques ou la multiplication d'aventures sexuelles devient compulsive, c'est-à-dire que des forces intérieures poussent la personne à avoir recours au sexe : il lui est donc impossible d'y résister. Une fois l'acte sexuel accompli, à peine soulagée, elle est de nouveau en proie à l'insatisfaction et donc à l'impérieux besoin de recommencer.

Quelle que soit la dépendance, tout commence par une expérimentation. Cette expérience initiale a souvent fonction de révélation, c'est pourquoi la personne va vouloir la reproduire. Dans un premier temps, ce sera de manière occasionnelle, dans un contexte récréatif, par la suite, l'escalade dans les difficultés existentielles va la pousser à répéter cette expérience jusqu'à en perdre le contrôle. Elle devient alors une réponse nécessaire pour aller moins mal, la dimension de plaisir s'efface progressivement au profit de la recherche du soulagement immédiat.

En s'imposant ainsi à la personne, la conduite elle-même devient source de souffrance. L'addict est en proie à des sentiments de honte, de culpabilité ou encore de profond désespoir face à son incapacité à mettre fin à un comportement qu'il réprouve. S'il n'arrive à se passer de sexe, c'est parce qu'un manque physique et psychique insupportable se fait ressentir dès qu'il en est privé : sensation de devenir fou, perte de contrôle de ses émotions, pensées envahies par des images relatives au sexe, bouffées de chaleur, mâchoire crispée, cauchemars, insomnies, etc.

Pour anesthésier ces nouvelles angoisses venues renforcer celles déjà préexistantes, l'individu va se réfugier dans une fuite en avant, répétant inlassablement les mêmes conduites, apaisantes à court terme, mais problématiques à long terme. Il est ainsi pris au piège d'un comportement dont il est à la fois l'auteur et la victime. Au problème à l'origine de la conduite s'est substitué un plus gros problème : celui de la conduite elle-même. La personne n'est plus en mesure de penser aux raisons qui l'ont poussée à avoir recours au sexe comme moyen de soulagement tant elle est prise dans une spirale infernale où ses conduites sont à la fois l'unique solution à ses yeux en même temps que son plus grand problème.

Les conduites addictives apparaissent souvent à l'adolescence et tendent à évoluer au cours de la vie. Elles fonctionnent généralement en réseau : on est rarement addict à un seul produit ou comportement. On peut par exemple être addict au cannabis et aux jeux vidéos à l'adolescence, déplacer sa dépendance sur la cigarette, la cocaïne et le sexe au début de l'âge adulte, puis se perdre dans les jeux de hasard et l'alcool. La dépendance est donc un processus bien ancré et autodestructeur, signe d'une fuite de soi et de la vie plutôt que de problèmes passagers.

Le trouble addictif peut être plus ou moins sévère. Les personnes les plus vulnérables sont celles pour qui l'engloutissement est tel qu'elles finissent par désinvestir toutes les autres sphères de leur vie : sociale, familiale, professionnelle. Plus rien ne compte en dehors du plaisir et du soulagement procurés par le sexe. Les préoccupations sexuelles deviennent si envahissantes que l'individu n'est plus en mesure de se concentrer sur quoi que ce soit d'autre. L'essentiel de son temps est consacré à séduire, à parcourir internet à la recherche de vidéos pornographiques ou de partenaires sexuels, puis à passer à l'acte.

L'essentiel de son temps est consacré à séduire, à parcourir internet à la recherche de vidéos pornographiques ou de partenaires sexuels, puis à passer à l'acte.

Un autre marqueur de sévérité réside dans l'escalade dans les fantasmes. Ce qui excitait au début ne suffit plus, le contenu des vidéos pornographiques est de plus en plus violent, les pratiques sexuelles de plus en plus extrêmes. La personne est progressivement happée par un univers sexuel violent et lugubre qui la rebute, mais dont elle ne peut s'échapper. Pour certains, cela peut aller jusqu'à la consommation de pédopornographie. Cette violation de la loi constitue souvent un motif de consultation : la personne a franchi une limite qui l'effraie, aussi bien sur le plan psychologique (elle craint avoir développé des tendances pédophiles) que légal (elle vit dans la peur d'être appréhendé par la justice). Le roman d'Hubert Selby, Le Démon, illustre bien cette descente aux enfers née d'une insatisfaction permanente, d'un mal-être impossible à combler, qui plonge le personnage dans une surenchère d'expériences extrêmes afin de se soulager.

Plus la dépendance est sévère, plus la personne va ressentir les effets du manque. Le syndrome de sevrage est le même que dans la dépendance à une substance : l'individu est en proie à un mal-être physique et psychique insupportable. Dans les dépendances légères, le manque se manifeste principalement au niveau psychologique. L'angoisse ressentie est importante, mais le sujet est en mesure d'attendre qu'elle se dissipe sans se sentir trop paralysé. Il lui est ainsi possible de vivre des périodes plus ou moins longues sans sexe. Dans les dépendances sévères, le manque est à la fois physique (sudation, tremblements, perte d'appétit, cauchemars, insomnies, etc.) et psychique (angoisses anéantissantes). La personne ne peut plus maîtriser ni ses pensées ni ses émotions, elle se sent dépossédée de son être. Elle croit devenir folle et la mort s'impose comme seule issue possible. Chez ces addicts sévères, le sexe fait donc office de protection face à un effondrement massif voire une mort certaine. Les rechutes sont fréquentes, car il leur est impossible de résister très longtemps au besoin de sexe.

Néanmoins, le faible degré de sévérité ne doit pas servir à mettre en doute l'existence de la pathologie. Il serait malavisé de définir un seuil à partir duquel une consommation de sexe peut être considérée comme pathologique. La seule limite fiable, qui fait basculer dans le registre d'une dépendance, réside dans la demande du sujet. Lui seul est en mesure de dire s'il souffre d'un comportement dont il se sent l'esclave au point de ne pas arriver à y mettre fin sans aide extérieure.

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