Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Peut-on expliquer l'action du Hamas par sa seule idéologie?

Au sein du Hamas, certains accordent une importance fondamentale à la lutte armée conçue comme une valeur absolue, tandis que, pour d'autres, la résistance s'apparente davantage à «une utopie consciente d'en être une».
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Ce billet a été publié dans le cadre de l'opération Têtes Chercheuses, lancé par le HuffPost France. Celle-ci permet à des étudiants ou chercheurs de grandes écoles, d'universités ou de centres de recherche partenaires de promouvoir des projets innovants en les rendant accessibles, et ainsi participer au débat public.

Il aura fallu quelques jours pour que les réactions aux dernières publications de Charlie Hebdo atteignent la bande de Gaza. Le 19 janvier, près de deux cents islamistes radicaux défilaient devant l'enceinte de l'Institut français, brandissant le drapeau noir de l'État islamique et menaçant les ressortissants de l'Hexagone. En réprimant violemment cette mobilisation, le Hamas a cherché à afficher sa différence avec l'idéologie salafiste. Il entendait aussi se présenter comme le seul garant de l'ordre à Gaza en montrant à ceux qui souhaiteraient remplacer son autorité - qu'il s'agisse de l'Autorité palestinienne ou de l'Égypte - qu'il constitue l'unique rempart contre l'État islamique. Ce dernier épisode illustre la nécessite de réinterroger la nature du couple intérêt/idéologie, auquel je me suis intéressée dans le cadre de ma thèse.

Une question qui divise

Pour certains, les Frères musulmans (dont le Hamas est issu) et les salafistes seraient dotés d'une même matrice idéologique. Les adeptes de cette lecture culturaliste considèrent que l'islam constitue le fondement de l'action politique des dirigeants du Hamas et que leur seul objectif est la destruction de l'État d'Israël. D'autres travaux ne voient au contraire dans l'idéologie qu'un écran de fumée qui cacherait des décisions bien plus réalistes. Ces deux types d'analyse posent problème. L'idéologie ne saurait être considérée comme le fondement des décisions politiques, pas plus que comme un simple artifice ou une justification a posteriori. Il est possible d'identifier plusieurs relations entre l'agencement d'idées et les objectifs pragmatiques.

L'alliance iranienne au grès de simplifications idéologiques

L'idéologie permet par exemple au Hamas de redéfinir son alliance avec la République Islamique d'Iran, considérée par de nombreux acteurs palestiniens comme une alliance impie avec un acteur chiite. Pour lui fournir une justification religieuse, les dirigeants du Hamas mettent l'accent sur un référent religieux commun, trans-confessionnel : « Nous voulons unir la nation arabe et islamique sur la question de la Palestine » ou encore « Nous sommes un seul front uni contre les ennemis de l'Islam ». Dans un contexte de compétition régionale entre sunnites et chiites, le dénominateur commun entre les deux courants de l'islam est privilégié, effaçant les spécificités des doctrines : « Il n'y a pas de contradiction entre recevoir de l'aide à la fois de l'Iran et de l'Arabie saoudite puisque les deux pays ont ''un seul Coran et un seul islam'' ». Ici, l'idéologie sert principalement à camoufler des sous-idéologies puisqu'on met l'accent sur la dimension idéologique qui sert l'intérêt plutôt que sur telle autre qui le dessert. A cette relation utilitariste relevant de ce que Max Weber appelait la « rationalité par finalité » qui consiste à idéologiser les intérêts en fonction de l'appréciation des fins et des moyens, s'ajoutent d'autres formes d'imbrication possible.

Trois déclinaisons idéologiques pour justifier la trêve

La conclusion d'une trêve ou hudna est cruciale pour le Hamas dans la mesure où elle lui sert à assurer sa gestion administrative et financière de la bande de Gaza, comme ce fut le cas à partir de juin 2007, lorsque le Hamas exerce une domination et un contrôle exclusif de ce territoire. Tout comme l'alliance avec l'Iran, la trêve est également largement contestée par les factions islamistes concurrentes à Gaza qui la considèrent comme une compromission avec l'ennemi. Présentée en cohérence avec la « norme islamique », la hudna serait légitime parce que non proscrite par la loi islamique. L'absence de terme alternatif à la hudna pour désigner l'accalmie confirme d'ailleurs l'importance de cet héritage islamique. Les dirigeants du mouvement font appel à des versets coraniques stipulant que la trêve n'est pas seulement permise, mais qu'elle est prescrite : « Et s'ils penchent vers la paix, penchez-vous (vous aussi vers la paix) et ayez confiance en Dieu ». Cette invocation religieuse se double par ailleurs d'une légitimation historique. Déjà en 1993, le cheikh Yassine notait qu'une cessation de combats limitée dans la durée était similaire à celle de hudaybiyya et aux autres trêves réalisées par le califat au cours de son histoire. Il y a là coïncidence entre les intérêts du Hamas et son idéologie qui apparaît comme un instrument de rassemblement avec les autres mouvements politiques à Gaza partageant les mêmes sources d'inspiration religieuse.

Pourtant, au-delà de cette adéquation, la trêve illustre également un conflit entre intérêt et idéologie. A la suite de sa conclusion en janvier 2008, certains membres de la branche armée du Hamas, les brigades Izz al-Din al-Qassam l'avaient refusée, quittant le mouvement pour rejoindre les groupes salafistes. Ces dissidents considéraient la trêve comme une dérive doctrinale.

Enfin, la trêve illustre aussi une reformulation de l'idéologie puisque les dirigeants du Hamas l'ont également présentée comme une forme de « résistance ». Ce fut le cas à partir de janvier 2009, à la suite de l'opération « Plomb durci », lorsque le Hamas eut recours à la force contre les autres factions islamistes concurrentes pour imposer l'accalmie largement impopulaire. Une nouvelle lecture faisant coïncider la « bonne gouvernance » et la résistance se met alors en place, la trêve n'étant quant à elle qu'un des aspects de cette « bonne gouvernance ». Les dirigeants du mouvement avaient alors tenté de persuader leur base militante qu'ils avaient réussi à parachever quelque chose d'inédit : la muzawaga, le « mariage » entre bonne gouvernance et résistance. La redéfinition de la résistance comme coïncidant avec la trêve permet au mouvement de minimiser la mise à l'écart de la lutte armée.

Un acteur politique comme les autres

Ainsi l'idéologie constitue-t-elle autant une solution aux problèmes qu'une source potentielle de conflit. Au sein du Hamas, certains accordent une importance fondamentale à la lutte armée conçue comme une valeur absolue, tandis que, pour d'autres, la résistance s'apparente davantage à « une utopie consciente d'en être une » pour reprendre l'expression d'Abdallah Laraoui. En fonction de l'importance accordée à telle ou telle valeur, différentes formes de rationalisation de cette idéologie sont possibles, et c'est ce que nous apprend Weber. Reconnaître cette complexité permet de dépasser le préjugé simplificateur qui consiste à penser que l'usage de l'idéologie caractériserait les périodes offensives, tandis que les périodes plus défensives privilégieraient le recours au réalisme. Comme le démontrait Alain Besançon dans son analyse de la politique étrangère du parti communiste russe, la conciliation n'implique pas nécessairement le recours à des discours de type rationnels, mais elle est au contraire, le plus souvent légitimée par le recours à l'idéologie. Au-delà des parts d'ombre pouvant subsister dans les tentatives de clarifier les interactions entre intérêt et idéologie, l'enseignement que l'on peut en tirer est celui du caractère classique du Hamas et de la possibilité d'appréhender ce mouvement à l'aide d'outils formés dans d'autres contextes, notamment dans le contexte occidental.

Pour aller plus loin: voir la thèse de doctorat de Leila Seurat, intitulée La politique étrangère du Hamas 2006-2013: idéologie, intérêt et processus de décision

2013-06-07-Sciencepo.jpg

La recherche à Sciences Po regroupe plus de 200 chercheurs et forme annuellement plus de 600 jeunes chercheurs. Basées sur le droit, l'économie, l'histoire, la science politique et la sociologie, les recherches conduites à Sciences Po sont résolument pluridisciplinaires.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Le Hamas et ses Brigades

Les principaux groupes armés palestiniens de Gaza

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.