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Déconstruire et questionner la culture du viol

Rapport après rapport, le constat est le même : les filles, les jeunes femmes et même les hommes dénoncent rarement les incidents de violence sexuelle.
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Tout récemment, la première ministre de l'Ontario a promis à Lia Valente et Tessa Hill, deux jeunes femmes de deuxième secondaire ayant fait circuler une pétition signée par environ 40 000 personnes, que le nouveau programme d'éducation sexuelle de la province comporterait désormais un nouvel élément surprenant : le consentement. Si cet ajout est surprenant, c'est parce que le consentement n'a jusqu'à maintenant jamais été inclus au programme d'éducation sexuelle.

Dans la foulée de la tempête médiatique soulevée par les accusations d'agressions sexuelles portées contre des vedettes comme Bill Cosby et, au Canada, Jian Ghomeshi, et compte tenu de l'omniprésence de la culture du viol sur les campus canadiens, il est clair que la question du consentement devrait être au cœur du programme depuis des décennies.

C'est simple : l'absence de consentement signale une agression sexuelle. Bien que l'enseignement du consentement soit une excellente mesure préventive méritant d'être saluée, elle n'est d'aucun secours pour les personnes ayant survécu à une agression sexuelle. Rapport après rapport, le constat est le même : les filles, les jeunes femmes et même les hommes dénoncent rarement les incidents de violence sexuelle.

Selon l'Enquête sociale générale menée en 2009 par Statistique Canada, 88 % des personnes ayant subi une agression sexuelle ne rapportent pas l'incident à la police. La même étude montre que les femmes sont plus de deux fois plus susceptibles que les hommes de dénoncer une agression sexuelle, et que les jeunes de 15 à 24 ans et les autochtones présentent les taux d'agression sexuelle les plus élevés au Canada.

Pourquoi tant de personnes souffrent-elles en silence au lieu de réclamer la justice qu'elles méritent?

Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, mais la stigmatisation entourant la dénonciation d'une agression sexuelle est au cœur du problème, et le discours médiatique au sujet de la violence sexuelle en est en grande partie responsable. Les nombreux cas d'agressions sexuelles qui ont été mis au jour au cours des derniers mois ont permis de constater que la tendance à blâmer la victime et le refus de reconnaître le viol comme tel sont toujours bien présents.

Les survivantes d'agression sexuelle, surtout les jeunes femmes, sont aux prises avec d'importants sentiments de honte et de culpabilité, car elles intériorisent les messages médiatiques consistant à blâmer la victime. C'est souvent ce qui les empêche de demander l'aide dont elles ont désespérément besoin.

La stigmatisation est plus importante encore au sein des communautés immigrantes, racisées et autochtones. Les jeunes femmes issues de ces communautés sont non seulement censurées au quotidien, elles doivent généralement surmonter des difficultés supplémentaires pour accéder aux services d'aide en raison de leur statut, de la langue, de l'endroit où elles vivent ou du manque de services qui affecte leur communauté.

On oublie également souvent de tenir compte de l'intériorisation des messages stigmatisants véhiculés par les services de soutien aux victimes, qu'il s'agisse des services communautaires, juridiques ou gouvernementaux.

Dans les faits, lorsqu'une jeune femme rapporte un viol, elle doit répéter son histoire à de multiples intervenants. Même si les intervenantes du refuge, de par la nature de leur travail et de leur expertise, sont très conscientes de la stigmatisation, elles doivent souvent faire appel aux policiers, aux tribunaux, aux services de protection des mineurs et à d'autres instances qui ne font qu'exacerber la stigmatisation en réitérant les messages consistant à blâmer la victime.

La culture du viol est un problème systémique : nous ne pouvons pas demander aux jeunes femmes qu'elles règlent ce problème en se « débarrassant » simplement de la stigmatisation. Une approche globale visant à répondre aux défis et à surmonter les obstacles relatifs à la dénonciation des agressions sexuelles doit tenir compte des rôles que jouent différents acteurs sociaux dans la propagation de la culture du viol. Une telle approche doit également tenir compte des divers obstacles que doivent surmonter différentes jeunes femmes selon leur classe, leur race, leur genre, l'endroit où elles vivent, leurs capacités et leur statut.

Heureusement, au Canada, nous vivons dans une société qui investit dans les services de soutien aux survivantes d'agression sexuelle. Il est cependant inacceptable que les voies d'accès à ces services soient encore de nos jours semées d'embûches.

La Fondation Filles d'action mène actuellement à terme un projet national, échelonné sur trois ans, de lutte contre la violence dans les relations amoureuses chez les jeunes femmes au Canada. De nombreuses jeunes femmes ayant participé à ce programme ont fortement insisté sur la honte et la culpabilité qui entourent la violence sexuelle.

Mais nos recherches signalent aussi un élément positif. Lorsque les filles acquièrent des compétences en matière de pensée critique dans le cadre de tels projets, elles deviennent pleinement conscientes des messages médiatiques et du rôle joué par ces derniers quand vient le temps de dénoncer les agressions sexuelles. Ces programmes contribuent à éliminer les obstacles à l'accès aux services de soutien en matière de violence sexuelle. Mieux encore, ils contribuent carrément à mettre fin à la violence sexuelle.

Cette année, à l'occasion de la Journée internationale des femmes, nous devons encourager l'émergence de projets axés sur les filles et les jeunes femmes. Nous devons nous engager à éliminer toute entrave à l'accès au soutien pour les survivantes de violence sexuelle. Nous devons soutenir des projets qui déconstruisent et questionnent la culture du viol.

Mais par-dessus tout, nous devons écouter et croire les jeunes femmes qui prennent la parole.

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