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Un bon écrivain est-il un écrivain... ivre?

Je vais devoir avouer un vilain secret: je ne savais pas que Stephen King avait souffert d'alcoolisme pendant de si nombreuses années. C'est un petit peu embarrassant, lorsqu'on se targue d'écrire sur les livres, de passer à côté d'un truc aussi gros.
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Je vais devoir avouer un vilain secret: je ne savais pas que Stephen King avait souffert d'alcoolisme pendant de si nombreuses années. C'est un petit peu embarrassant, lorsqu'on se targue d'écrire sur les livres, de passer à côté d'un truc aussi gros. Il aura fallu attendre la sortie de son dernier roman, Docteur Sleep, suite et fin d'un livre culte paru au siècle dernier, pour que la chose me parvienne aux oreilles. C'est dire. Pourtant, les écrivains et la bouteille, c'est quelque chose qui me connaît. Bêtement, j'ai longtemps considéré qu'un romancier qui ne buvait pas n'arriverait à rien ou cachait un terrible secret que seule la sobriété pouvait garder. C'était une autre époque, j'étais au lycée, je me voulais subversif. Aujourd'hui, je reconnais volontiers à ce grand consommateur d'eau tiède qu'était Borges des qualités littéraires indéniables (tu parles d'une litote), même si je continue à penser qu'un verre ou deux ne lui auraient pas fait de mal.

Ah! L'alcool et les écrivains... De la Dive Bouteille de Rabelais au passage de Bukowski sur le plateau de Bernard Pivot (qui n'avait qu'à pas l'inviter) c'est un tango aussi vieux que le monde et qui garde encore son étrange pouvoir d'attraction. D'ailleurs, vient tout juste de sortir aux États-Unis et en Angleterre un livre traitant de cette connexion obscure entre addiction et création. Dans The Trip To Echo Spring (le titre fait référence aux grandes bitures que s'inflige le personnage de Big Daddy dans La chatte sur un toit brûlant de Tennessee Williams... grand auteur, grand alcoolique) Olivia Laing fait le portrait de six écrivains américains à travers le cul d'une bouteille bien pleine : Tennessee Williams donc, John Cheever, Francis Scott Fitzgerald, John Berryman, dont, deuxième aveu de poids, je n'avais jamais entendu parler, Raymond Carver et, bien entendu, Hemingway. Après tout, qui d'autre a plus fait pour le mythe de l'écrivain buveur que Papa? On peut dire, sans exagérer, qu'il a soutenu l'industrie du rhum cubain et les caisses du Floridita à lui tout seul, inventé une demi-douzaine de cocktails dont le Bloody Mary par pure poltronnerie et participé à la libération, fusil au poing, du bar du Ritz qui depuis porte son nom... Une oeuvre impressionnante en somme, mais qui ne l'empêchera pas de se tirer une balle dans la tête. Son plus grand fan, Hunter S. Thompson, fera la même chose quelques années plus tard.

Alors, pourquoi les écrivains boivent-ils? J'imagine que certains le font comme une sorte d'obligation professionnelle, une pose de circonstance. Après tout, un écrivain qui ne boit pas c'est un peu comme un rockeur qui vivrait au-delà de vingt-sept ans. Ça craint. Mais pour ceux que l'on n'oublie pas et qui ont laissé en nous une trace indélébile, c'est tout autre chose et c'est ce "tout autre chose" qu'Olivia Laing tente d'explorer. Une sensibilité à fleur de peau, un passé malsain à trimbaler ou les deux. Parfois plus. Baudelaire racontait qu'il buvait pour "tuer quelque chose à l'intérieur de lui" et Hemingway, encore lui, ajouta :

"La vie est une angoisse mécanique et il se trouve que l'alcool est le seul réconfort mécanique."

Nous enfoncerions des portes ouvertes depuis longtemps en disant que les raisons qui poussent un homme, ou une femme, à écrire sont souvent les mêmes que celles qui les poussent à boire. Au-delà de tout jugement moral, c'est ce que montre le récit d'Olivia Laimb, à ceci près que si les auteurs qu'elle convoque sont devenus des classiques parmi les classiques, leurs écrits ne reflètent que légèrement, voire pas du tout, leur addiction à l'alcool. Sans être dommage, ça laisse un angle mort. Du coup, voici six auteurs, six romans, choisis subjectivement et dont les pages sont littéralement imbibées d'alcool. Histoire d'avoir la bonne mesure:

Fred Exley - Le dernier stade de la soif

Fred Exley - Le dernier stade de la soif

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En 2011, les excellentes éditions de Monsieur Toussaint Louverture publiaient l'œuvre déchirante, mais encore méconnue de Frederick Exley. Entre football américain et cures de désintox à répétition, entre humour et désespoir, Exley raconte une descente aux enfers inoubliable. À découvrir absolument.

Antoine Blondin - Un singe en hiver

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Lorsqu'il écrit cette histoire d'amitié filiale, Antoine Blondin compte encore quelques amis qui le regardent jouer à la corrida avec les voitures du boulevard Saint-Germain. Trois ans plus tard, Verneuil fera du livre un film et Belmondo y fera de la corrida en bras de chemise. Un grand film. Mais c'est toujours mieux de lire le livre avant.

Hunter S. Thompson - Rhum express

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Thompson enfonce encore un peu plus le clou de son journalisme gonzo avec ce roman ramené d'entre les morts par Johnny Depp. La traduction du titre original, The Rum Diary, est totalement absurde. Elle a néanmoins le mérite de ne laisser aucun doute sur ce qu'on trouvera à l'intérieur: des histoires dingues et largement autobiographiques, du style et des cocktails à gogo. La légende Hunter Thompson est en marche.

James Crumley - Le dernier baiser

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Qui n'a pas lu Le dernier baiser au moins une fois dans sa vie doit être bien malheureux. Rien que pour la scène d'ouverture, ce livre vaut tous les Goncourt. En voici la première phrase: "Quand j'ai finalement rattrapé Abraham Trahearne, il était en train de boire des bières avec un bouledogue alcoolique nommé Fireball Roberts dans une taverne mal en point juste à la sortie de Sonoma..."

Jack London - John Barleycorn

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Lorsqu'en 1913 il publie John Barleycorn Jack London n'a plus que trois ans à vivre. Croc-Blanc et L'appel de la forêt étant quand même mieux calibrés pour les bibliothèques de nos écoles London est resté dans l'imaginaire français comme un écrivain-aventurier entouré de neige. En même temps, quel aurait été l'impact de ce Barleycorn sur des générations entières d'écoliers? Difficile de l'envisager.

Malcolm Lowry - Sous le volcan

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Chef-d'oeuvre absolu, souvent cité, rarement lu, Sous le volcan est le cri éblouissant d'un écrivain génial que l'alcool a tué à petit feu. Écrit dans la torpeur mexicaine, fignolé sur les bords d'un lac canadien, le manuscrit a échappé à un incendie, deux trois crises de delirium tremens et une vingtaine de refus avant que Jonathan Cape ne le publie en 1947 (non sans obliger Lowry à quelques retouches et à se fendre d'une lettre d'explication désormais célèbre). Culte.

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