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5 livres soi-disant intraduisibles (plus 1 bonus)

Voici cinq traductions dantesques, cinq tours de force, cinq chefs-d'oeuvre réputés intraduisibles, mais qui par la grâce d'un travail relevant du sacerdoce sont disponibles en français.
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Sans trop s'attarder sur ce titre à la BuzzFeed qui sent bon les LOL cats et les gifs poilants, les choses auraient plutôt tendance à s'enchaîner avec une formidable logique. En tout cas, on fait tout pour. J'exprimais il y a peu, sur un site d'une discrétion remarquable, le désir de voir certains ouvrages, toujours indisponibles en français, attirer l'attention de quelques éditeurs casse-coup n'ayant pas peur de jouer leur trésorerie à la roulette russe.

Puis, en début de semaine, comme de fait exprès, le Fric-Frac Club publiait un article se faufilant dans la récente polémique qui a secoué le monde littéraire anglo-saxon lorsque deux bouts de femmes aux idées bien arrêtées ont lâché une petite bombe de rien du tout: la littérature américaine est aujourd'hui massivement surestimée. Dit en face de Jonathan Franzen c'était assez jouasse. L'un des principaux griefs avancés par Jhumpa Lahiri et Xialou Guo est notamment la place ridicule qui est réservée aux traductions dans les pays anglo-saxons.

Et de traductions, il est aujourd'hui question.

Le monde moderne est plein de héros invisibles qui se battent mano a mano avec les projets les plus fous. Certains illuminés parviennent même à changer le cours des choses en n'utilisant que la moitié de leurs dix doigts. À sa manière, le traducteur est de ceux-là (en fait, des études très sérieuses montrent que "le traducteur" est une traductrice la plupart du temps). Évoluant souvent dans les marges du roman, il ne fait jamais beaucoup de bruit, mais fait couler pas mal d'encre. Rares sont ceux qui lui disent merci, par contre on lui fait volontiers remarquer qu'il a foiré une tournure de phrase ou un jeu de mot qui, de toute façon, n'existait dans aucune autre langue. Certains d'entre eux prendraient trop de liberté voyez-vous, ils "réécriraient" les livres dont ils se feraient interprètes. Et puisqu'on y est: combien de fois faudra-t-il retraduire Kafka? Poe sans Baudelaire serait-il le même Poe que nous connaissons? C'est le genre d'embrouilles qui pourraient durer des plombes avant qu'on ne tombe d'accord. Il y a néanmoins un point sur lequel on peut s'arrêter sans risque: la traduction est un métier plus que jamais indispensable. Sans traducteur, sans traductrice, point de Joyce, de Bolaño, d'Hemingway... point de Cinquante nuances de Grey. Mesdames, songez-y.

Histoire de marquer le coup une bonne fois pour toutes voici cinq traductions dantesques, cinq tours de force, cinq chefs-d'oeuvre réputés intraduisibles, mais qui par la grâce d'un travail relevant du sacerdoce sont disponibles en français. Amen.

1 - Le Tunnel, écrit par William Gass et traduit par Claro (Le Cherche Midi - Lot49)

Claro est ce qu'on pourrait appeler un transaltor heroe. Le genre de type qui s'est farci La maison des feuilles et O Révolutions de Danielewki, Le silence selon Jane Dark de Ben Marcus (dont on attend le reste avec impatience), Agonie d'agapè de Gaddis, Pynchon, Barth, Vollmann... Tout ce qui se fait de mieux outre-Atlantique quoi. C'est aussi à lui que l'on doit la traduction de ce totem obscur de la fiction américaine, pour qui la collection Lot49 a été créée. Il aura fallu un quart de siècle à Gass pour creuser son Tunnel et près de cinq ans à Claro pour le traduire. Mais bon, à partir du moment où on a décidé de renverser le monde...

2 - Horcynus Orca, écrit par Stefano d'Arrigo et en cours de traduction par Monique Baccelli et Antonio Werli

On aura tout dit de cet OVNI littéraire qui a traversé le XXème siècle comme une comète démente sans que personne, ou presque, ne le lise. Ulysse italien, Moby Dick méditerranéen, cathédrale invisible du roman moderne et moderniste, le machin était épuisé depuis des lustres en Italie jusqu'à l'année dernière et jamais traduit dans aucune autre langue jusqu'à ce que Benoît Virot, des éditions du Nouvel Attila, ne lance la chasse à la baleine.

3 - Renégat, écrit par Reinhard Jirgl et traduit par Martine Rémon (Quidam)

Les gens qui ont eu la chance de faire allemand en LV2 connaissent l'aspect agglutinant et "retourné" de cette langue qui, il faut quand même le dire, a beaucoup souffert de quelques discours dégueulasses crachés à la face du monde. On n'ose même pas imaginer la beauté et le choc originel qu'ont dû ressentir les lecteurs lorsque ce pavé au langage monstrueux a été publié pour la première fois en 2005. À l'heure où je vous parle Jirgl est toujours considéré comme le descendant numero uno d'Arno Schmidt. C'est vous dire ce que l'on doit à Martine Rémon.

4 - La mélancolie de l'anatomie, écrit par Shelley Jackson et traduit par Bernard Hoepffner (Corti)

On aurait pu trouver incongru de la part des très respectables éditions José Corti de publier un livre de la très iconoclaste Shelley Jackson. Oui, mais non. Quelques années auparavant Bernard Hoepffner, à qui l'on doit un corpus quasi sacré (Sorrentino, Twain, Coover, Joyce...) avait déjà signé la traduction de L'anatomie de la mélancolie de Burton. Le livre de Shelley Jackson en est comme l'anti-matière solide. Ce qui se passe ici est d'une beauté et d'une rareté sans égal.

5 - Le livre du chevalier Zifar, écrit au XIVe siècle et traduit par Jean-Marie Barberà (Monsieur Toussaint Louverture)

L'entreprise totale d'édition de ce récit anonyme, dont les origines se perdent dans les légendes les plus folles, est un geste bluffant marqué en lettres d'or sur chaque coin de sa couverture reliée cuir. Il aura fallu pas moins de trois "manuscrits" différents à Jean-Marie Barberà pour recomposer les aventures de ce chevalier Zifar et donner à la littérature européenne l'un de ses piliers les plus étranges.

BONUS TRACK: Arno Schmidt et Claude Riehl

"Caractérisez brièvement la langue et le style d'Arno Schmidt. INTRADUISIBLES" C'est par ces mots que Jean-Claude Hémery, premier défricheur de Schmidt, concluait la postface de Scènes de la vie d'un faune. Du coup, pendant très longtemps Arno Schmidt fut affublé d'un surnom fantastique, mais d'une cruauté inouïe: "Le centre secret de la littérature allemande". En Claude Riehl il a fini par trouver une voix magnifique et fidèle qui aura donné aux lecteurs francophones l'un des plus grands auteurs du XXe siècle.

J'aurais pu aussi vous parler de Providence de Juan Francisco Ferré (traduit par François Monti, Passage du Nord Ouest), Les Instructions d'Adam Levin (traduit par Barbara Schmidt et Maxime Berrée, Inculte), Tristram Shandy de Laurence Sterne (traduit par Guy Jouvet, Tristram), L'odyssée barbare de Daniel Sada (traduit par Claude Fell, Passage du Nord Ouest), Ulysse de Joyce (traduit par Bernard Hoepffner, Gallimard)...

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