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Syrie: la dangereuse stratégie du Chaos

À l'instar de toutes les guerres, l'issue d'une possible implication occidentale dans le conflit syrien paraît incertaine. Aux habituels aléas militaires, à l'incertitude des choix tactiques - frappes à distance ou engagement au sol - s'ajoute en effet cette fois une interrogation stratégique de taille: une guerre pour quoi faire ... et pour qui ?
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À l'instar de toutes les guerres, l'issue d'une possible implication occidentale dans le conflit syrien paraît incertaine. Mais elle l'est peut-être encore plus que de coutume. Aux habituels aléas militaires, à l'incertitude des choix tactiques - frappes à distance ou engagement au sol - s'ajoute en effet cette fois une interrogation stratégique de taille : une guerre pour quoi faire ... et pour qui ?

La guerre perpétuelle, solution de Washington

Dans cette affaire, un article récent du New York Times a résumé avec lucidité, mais aussi avec cynisme, la problématique telle qu'elle se pose pour les États-Unis. De deux choses l'une: où bien Washington laisse Assad en finir avec la rébellion et constate impuissant le rétablissement de la zone d'influence iranienne via le régime de Damas et ses alliés locaux comme le Hezbollah; ou bien il choisit d'affaiblir ou de renverser ceux-ci au risque de renforcer les fondamentalistes sunnites qui constituent désormais l'essentiel de la rébellion, bien loin des aspirations démocratiques qui avaient pu caractériser à ses débuts la révolution syrienne. Et le New York Times de conclure qu'à défaut d'une invasion américaine à même de réduire au silence les premiers comme les seconds, la poursuite indéfinie des hostilités serait la solution préférable pour les États-Unis.

C'est peut-être à partir de ce type de considérations que la Maison Blanche a semblé dans un premier temps s'orienter vers des frappes ciblées (une option qui reste d'ailleurs d'actualité) qui - en affaiblissant temporairement et localement le régime de Damas - ne feraient que prolonger les souffrances du peuple syrien. Des Syriens qui sont eux-mêmes assez peu dupes de la manœuvre et la dénoncent même parfois: Saleh Muslim, le leader du PYD, le plus grand parti kurde de Syrie a ainsi ingénument posé la question de savoir si le Qatar, la Turquie et l'Arabie saoudite seraient punis s'il s'avérait que ces pays aient fourni aux rebelles les armes chimiques récemment employées.

Si M. Muslim et son mouvement peuvent raisonnablement être suspectés d'avoir intérêt au maintien même formel du régime baasiste, tel n'est sans doute pas le cas d'Haytham Manna, le responsable du Comité de Coordination Nationale pour le changement démocratique, une formation d'opposition syrienne non armée. Or M. Manna en exil depuis 35 ans l'affirme tout de go: les attaques chimiques, menées par des organisations affiliées à Al-Qaïda, sont un coup monté pour justifier l'intervention occidentale. Et de fustiger la duplicité américaine pour mieux louer la cohérence des Russes sur la question syrienne.

Quand Riyad tente d'amadouer Moscou aux dépens des Européens

Une cohérence que l'Arabie Saoudite, férocement hostile au régime mécréant de Damas, aurait tenté en vain de corrompre : Selon une information explosive du Telegraph, curieusement peu reprise par la presse française, le Prince Bandar ben Sultan de la famille royale saoudienne, et accessoirement chef de ses services secrets, aurait directement tenté d'acheter à Vladimir Poutine son acquiescement à une intervention en Syrie. Mais le quotidien britannique avance que l'homme fort de Moscou serait resté sourd aux promesses saoudiennes de calmer, pendant les Jeux olympiques de Sotchi, les groupes terroristes tchétchènes que Riyad contrôlerait et de garantir, dans la Syrie d'après Assad, les privilèges de la base navale russe de Tartous. Mais aussi et surtout, Riyad aurait promis sans succès de baisser ses exportations de pétrole vers l'Europe et de pousser le Qatar à faire de même pour ses exportations de gaz afin que Moscou puissent augmenter ses tarifs envers les pays de l'Union et renforcer notre dépendance à l'égard des ressources énergétiques russes.

Dans l'intense campagne de désinformation qui prévaut désormais, il est évidemment peu aisé de démêler le vrai du faux, mais il semble au moins clair que la guerre a déjà fait une première victime collatérale: l'Union européenne, incapable de se déterminer en fonction de ses propres intérêts. Car s'il reste difficile d'interpréter le silence assourdissant qui caractérise actuellement les instances de Bruxelles, l'incohérence de ses Etats-membres parle pour elle: la perspective de s'engager en l'absence de preuves formelles de la responsabilité du régime dans les attaques chimiques et hors d'un mandat légal de l'ONU n'enchante ni la Belgique, ni l'Allemagne. En revanche, Paris et Londres se sont pour leur part clairement et directement alignés sur les positions bellicistes de Washington. Si les propos de Steffen Seibert, le porte-parole du gouvernement allemand semblent indiquer que la réserve de Berlin provient de scrupules légalistes, ceux de Philipp Missfelder, le porte-parole d'Angela Merkel pour les Affaires étrangères attestent plutôt qu'elle est due tant aux craintes d'embrasement généralisé du Proche-Orient qu'aux capacités supposément limitées de projection militaire de la part des forces armées allemandes.

Israël bientôt allié de Téhéran ?

Quoi qu'il en soit, les atermoiements de l'Union européenne, ceux de la Ligue Arabe elle-même, de même que les réticences jordaniennes en dépit des pressions imputées au même Prince Bandar ben Sultan, laissent à Paris et à Londres le douteux privilège de se retrouver presque seuls au côté de démocraties manifestes comme l'Arabie saoudite, le Qatar ou la Turquie et de servir les intérêts bien compris de ces États bien plus que les leurs. Car il est clair que les régimes du Golfe voient dans la chute de la Maison Assad l'espoir que s'établissent dans la région des régimes fondamentalistes comme il est évident qu'Ankara souhaite y recouvrer les territoires perdus de son ancien empire ottoman.

Bien sûr, le succès de telles visées est rien moins qu'incertain. D'une part parce que Moscou et Pékin continuent de s'y opposer pour des motifs géostratégiques, mais aussi en raison de considérations intérieures. D'autre part parce que les Kurdes syriens qui contrôlent désormais le nord du pays et qui ont fait la jonction avec leurs frères irakiens ne sont sans doute pas prêts à voir Ankara menacer l'autonomie d'un territoire qui pourrait préfigurer leur indépendance. Enfin parce qu'on imagine mal que Téhéran reste sans réaction devant la possible avancée de son concurrent régional turc ou de ses adversaires ethno-théologiques que sont les monarchies pétrolières du Golfe.

À ce dernier sujet, on peut penser que s'ils décidaient finalement d'affaiblir Assad, et ipso facto son parrain iranien, les États-Unis ne feraient pas nécessairement le bon choix à long terme, et notamment vis-à-vis d'Israël. Car si la stratégie du chaos peut donner l'illusion de la sécurité à l'État hébreu, elle substitue à un acteur rationnel - Téhéran ou son fondé de pouvoir syrien - d'autres qui le sont bien moins. Depuis 30 ans, en dépit de l'occupation israélienne du plateau du Golan, en dépit de la question palestinienne, en dépit de l'insupportable rhétorique iranienne sur l'État juif, Tel-Aviv jouit d'une certaine assurance que sa capacité de dissuasion - notamment nucléaire - est adaptée au rapport du fort au faible qui prévaut face à Damas et Téhéran. Or la liste sans fin des attentats kamikazes menés par des mouvements fondamentalistes sunnites sont là pour témoigner que la dissuasion est de peu d'effet dans un rapport du fort au fou. Si Assad tombait, le contrôle de cette immense zone talibanisée qui irait alors de la côte orientale de la Méditerranée à l'embouchure de l'Euphrate pourrait requérir une forme inédite de collaboration entre les ennemis d'aujourd'hui que sont Israël et l'Iran. À moins que, comme en Égypte, l'Oncle Sam ne favorise, avant qu'il ne soit trop tard, la fin de l'interlude islamiste.

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